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et jusqu’à la disposition des réduits les plus intimes, soumises au contrôle minutieux de fonctionnaires publics : autant de signes qui attestent, aux yeux attristés de M. Spencer, un recul de son pays vers les procédés, les mœurs, les sentimens propres au régime de la coopération par contrainte.

Ce tableau de l’état social de l’Europe et de l’Angleterre contemporaines est assurément curieux et attachant. Sans doute, M. Spencer s’exagère un peu le mal, et en tout cas, il y a quelque excès dans une théorie dont la conséquence, hautement avouée, c’est que le progrès se mesure à l’affaiblissement de l’autorité politique et administrative. Nous accordons néanmoins que le réveil de l’esprit militaire et conquérant n’est pas, somme toute, pour réjouir les véritables amis de l’humanité. Mais quoi ! le premier besoin comme le premier devoir d’une nation, n’est-ce pas d’exister ? Et que deviendrait, au milieu de sociétés fortement organisées pour l’attaque, un peuple chez qui le développement à outrance de l’industrialisme aurait réduit à peu près à rien l’action du gouvernement ? Croit-on, par exemple, qu’en l’absence d’institutions permanentes et des sentimens qui en résultent, la coopération volontaire suffirait, à un moment donné, pour créer une armée capable de défendre le territoire national contre un ennemi préparé de longue main ? Et d’ailleurs n’y a-t-il pas coopération indirectement volontaire là où le culte des vertus guerrières fait que chacun renonce avec joie à quelques-uns des avantages qui sont le privilège des sociétés du type industriel ? Est-on bien sûr enfin que la prédominance de ce type n’aurait pas pour effet le triomphe de l’égoïsme, une préoccupation exclusive des intérêts matériels, par suite l’affaiblissement des plus nobles sentimens de l’âme, et un relâchement inquiétant du lien social ?


II.

Nous devons maintenant, avec M. Spencer, jeter un coup d’œil sur les principales classes des phénomènes sociaux. Les plus simples sont ceux que présente l’évolution de la famille.

Cette évolution est, dans son ensemble, conforme à l’évolution en général, et à l’évolution sociale en particulier. — Pour qu’une espèce subsiste, il faut évidemment que des individus nouveaux remplacent ceux qui doivent mourir, et cette reproduction se fait toujours plus ou moins aux dépens des reproducteurs. Chez certains animaux inférieurs, la plus grande partie de la substance de l’adulte devient la matière même dont sont formés les jeunes ; chez les animaux supérieurs, les soins, les fatigues, l’industrie qu’exigent la nourriture et l’élève des petits, absorbent encore une large part de