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courbe et brise les arbres les plus robustes et bouleverse la face de l’Océan. Une série d’insensibles transitions fait passer chaque chose de l’un à l’autre de ces deux états ; en sorte que tout objet revêt également ces deux formes, ou plutôt possède une double existence. De là, par une lente évolution, les notions de l’âme et de la vie future ; de là aussi les premiers dieux.

L’homme, comme toute chose, a son double, et nombre de phénomènes confirment cette croyance dans l’esprit de l’homme primitif. Qu’est-ce, pour lui, que le sommeil, sinon la séparation périodique de ces deux êtres ? Le double invisible quitte chaque soir le corps endormi, et les rêves sont les impressions des objets qui s’offrent à lui dans ses voyages nocturnes. L’évanouissement, la catalepsie, il les explique de la même manière ; la mort enfin n’est qu’une absence un peu plus longue de l’être mystérieux qui tout à l’heure animait le cadavre et qui, dans les croyances des premiers hommes, est toujours prêt à y rentrer.

Peu à peu les espaces environnans se peuplent, pour le sauvage, d’une multitude d’agens invisibles, mais puissans et redoutables. Ce sont eux qui produisent les maladies en s’introduisant dans les corps des vivans ; ils agitent et raidissent les membres du convulsionnaire, de l’épileptique, provoquent le délire du fou, les visions de l’halluciné, de l’enthousiaste, du devin ; l’éternuement même n’est autre chose que leur sortie bruyante par les narines. Bientôt l’homme imagine certains moyens d’avoir prise sur eux : d’où la sorcellerie, d’où la médecine, qui, à l’origine, se confond avec elle. Les enchantemens, les exorcismes, sont des expressions analogues des mêmes croyances.

Toute évolution impliquant différenciation progressive et passage de l’homogène à l’hétérogène, le fonds commun des notions primitives se diversifie à l’infini. Des catégories nombreuses s’établissent entre ces êtres surnaturels ; les uns sont les causes de tous les phénomènes que l’ignorance est impuissante à expliquer ; les autres restent à l’état d’âmes des morts ; l’imagination leur prête ordinairement une forme identique à celle du corps qu’ils animaient. Ombres ou fantômes, ils habitent une région semblable à celle où s’est écoulée leur vie terrestre, mais presque toujours souterraine, parce que c’est dans les cavernes profondes que les premiers hommes ont vécu et qu’on a d’abord enfermé les cadavres. — Puis, par une évolution nouvelle, les cérémonies funéraires ont donné naissance aux : rites religieux ; le tombeau s’est transformé en autel, l’âme du commun ancêtre est devenu le dieu de la tribu.

Nous ne nous proposons pas de suivre M. Spencer dans les intéressans détails de cette théorie du fantôme (ghost theory) ; elle soulève d’assez graves objections. Nous nous contenterons de signaler la conclusion