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laissera ses meilleurs adeptes embarrassés si on les transporte brusquement sur le Rhône.

L’Ems franchi, le Weser passé, Germanicus n’avait plus qu’à combattre, et quels ennemis! « Des barbares sans casque, sans cuirasse, couverts par des boucliers d’osier, dont les armes offensives, à paît quelques lances placées au premier rang, ne se composaient que de méchans javelots et d’épieux durcis au feu. » La victoire n’hésita pas un instant ; elle fut aussi complète que possible et ne coûta presque rien aux Romains. Jusqu’à la nuit, les vainqueurs s’acharnèrent au carnage. Germanicus lui-même y excitait ses soldats. « Frappez, leur criait-il, pas de prisonniers! Nous ne verrons la fin de cette guerre que lorsqu’il n’y aura plus de nation germaine! » Ce n’était pas par ce massacre impitoyable qu’on pouvait sauver Rome ; il eût mieux valu continuer d’apprendre le latin à Hermann, — pleraque latino sermone interjaciebat, — vous aurez bien vite absorbé un peuple, si vous savez le décider à échanger sa langue pour la vôtre.

Tout l’été les légions occupèrent le pays. Quand vint le moment de prendre les quartiers d’hiver, Germanicus embarqua la majeure partie de ses troupes et redescendit l’Ems sur la flottille. Un coup de vent de sud-ouest se déclare à la suite d’un violent orage; la flottille n’était pas préparée à cette épreuve. Des bateaux, pour la plupart non pontés, ne sont pas faits pour tenir la cape. Chacun cède au vent; en un instant la flottille est dispersée. Germanicus aborda chez les Chauques. Il avait lieu de croire son armée engloutie ; dans les premiers momens, son désespoir ne connut pas de bornes; mais bientôt la marée lui ramena une partie des navires. Les uns n’avaient plus que quelques rames, les autres se traînaient sous des vêtemens arborés en guise de voiles ; un certain nombre venaient à la remorque de vaisseaux moins endommagés. En somme il ne paraît pas que beaucoup de soldats aient péri. Dès qu’on put, avec les navires qui avaient rejoint et qu’on s’empressa de réparer à faux frais, visiter les îles environnantes, on les trouva remplies de naufragés ; il en revint même des côtes de la Grande-Bretagne. L’émotion fut plus grande que le désastre. Tacite en a fait un tableau; les tableaux sont la gloire des grands écrivains et l’embarras de l’impartiale histoire. Ce qu’on ne peut mettre en doute, c’est que les Germains, à la nouvelle de la catastrophe, se hâtèrent de courir aux armes et que Germanicus, loin d’être sans armée, put faire marcher sur-le-champ contre eux 30,000 hommes de pied et 3,000 chevaux, pendant qu’il s’avançait lui-même avec de plus grandes forces contre les Marses. Les barbares ne s’y trompèrent pas: « Les Romains, disent-ils, ont perdu leur flotte; leurs soldats n’en paraissent que plus nombreux. »