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de comprendre. Si l’état n’a plus de trières dans ses arsenaux, à quoi bon établir des liturgies? Que gagnerez-vous à remanier sans cesse les règlemens qui mettent à la charge d’une certaine classe, de la classe la plus riche et la plus imposée, l’équipement de navires qui n’existeront pas? Laissez vos généraux rédiger des traités de vénerie dans leur domaine de Scillonte; cela vaudra mieux que de leur confier des flottes insuffisantes. Ah! vous comptez sur les dons patriotiques! Vous croyez, comme le croira un jour M. Necker, que les largesses spontanées des hautes classes éveillées au sentiment des dangers publics suffiront pour réparer les tristes effets d’une longue insouciance? Ces choses-là ne se voient pas deux fois dans la vie d’un peuple. Quand l’Eubée était menacée, on a bien pu vous venir en aide; on aidera aussi le Sénat dans la première guerre punique; M. de Choiseul, lorsque ce grand ministre entreprendra de relever la fortune de la France. Il n’est guère de pays qui n’ait connu ces élans d’enthousiasme, mais l’enthousiasme n’a jamais été que la fleur d’une saison; il s’épanouit, se flétrit et meurt. Promettez tant qu’il vous plaira, pour exciter une émulation qui s’endort, d’inscrire dans le dème natal le nom de chacun de ces généreux donateurs; faites-les asseoir à un banquet solennel dans le Prytanée ; les offrandes volontaires n’en, viendront pas plus vite. L’ordre et la bonne gestion des deniers de l’État, la stricte exécution des lois de prévoyance, voilà ce qui peut seul effacer le souvenir des malheurs passés et prévenir les calamités futures. L’argent ne vous manque jamais pour vos fêtes; sont-ce les fêtes qui, au jour du danger, protégeront le peuple? Oh ! que Démosthène avait donc raison lorsqu’il s’écriait: « Quoi qu’ait fait le conseil, si vigilante qu’ait été son administration sur tous les autres points, du moment qu’il a négligé de construire des vaisseaux, ne lui accordez pas de récompense ! »

La galère était chose fragile et légère ; ne pouvant la faire forte, on la faisait autant que possible riche et belle. Puget lui-même ne dédaigna pas d’y appliquer ses soins. On ne renouvelait pas aussi souvent la sculpture des galères que le corps et, « pour éviter de ruiner l’état, » on se servait constamment des vieilles poupes. On dorait à fond les poupes des réales et des patronnes, on dorait aussi les ornemens de sculpture qui paraient les œuvres mortes de ces grandes galères ; on se contentait de dorer les reliefs aux galères particulières et d’en peindre le fond « de la couleur que souhaitait le capitaine. »

« Dorer les statues de Pallas » était déjà, au temps d’Aristophane, une menace de guerre; les voisins inquiets ne manquaient pas d’envoyer demander des explications. Qui donc se chargeait à cette époque de couvrir d’un métal si précieux et si rare des ornemens