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M. le docteur Pearman à m’y suivre; la fortune ne couronnera peut-être pas nos efforts, nous pouvons du moins nous promettre les honneurs d’une belle défense.

Qu’elles devaient être imposantes et belles, ces réales de l’antiquité, avec leur palamante de soixante-un avirons et leurs avirons de 42 pieds, dont près de 30 pieds sortaient en dehors ! Pareille à un aigle aux ailes étendues, la galère senzille elle-même, — senzille de senzillo, en espagnol simple, ordinaire, — embrassait en largeur, quand elle avait dèfournelé ses rames, un espace de 77 pieds. Pour ranger une escadre en ligne, il fallait bien laisser entre deux navires l’intervalle qui leur était nécessaire pour tourner ; or la longueur de toute l’œuvre morte, y compris les ornemens de poupe et l’éperon, atteignait 170 pieds. Vous voyez d’ici ce que devait être le front de bataille d’une flotte composée de deux cents galères. Semblables flottes, à toutes les époques de l’histoire, ont sillonné les mers, mettant en mouvement de 40,000 à 80,000 hommes.

L’équipement d’une galère était trop dispendieux pour qu’aucun négociant songeât à charger ses marchandises sur des navires qui avaient à peine une cale et qui n’employèrent jamais moins de cent cinquante rameurs. L’état ne pouvait donc compter que sur ses propres ressources quand il voulait rassembler une armée navale ; il n’y avait point de ce côté d’emprunt à faire au commerce. Les négocians d’Athènes n’auraient pas plus été en mesure de fournir à la république des trières que ne le seraient aujourd’hui les armateurs de Marseille ou du Havre d’apporter à nos flottes leur contingent de bâtimens cuirassés. Une loi rendue sur la motion de Thémistocle imposait au conseil des cinq cents le devoir de construire annuellement vingt trières. Le trésor public remettait chaque année à ce conseil les fonds nécessaires pour qu’il pût satisfaire au vœu de la loi. Malheureusement les lois ne tardent pas à tomber en désuétude lorsque les états eux-mêmes tombent en décadence. On en vint bientôt à considérer comme un acte de vertu civique le simple accomplissement du devoir ; des couronnes d’or furent décernées à des magistrats qui n’y pouvaient prétendre d’autre titre que de n’avoir pas éludé les obligations de leur charge. On alla plus loin ; la couronne d’or fut demandée pour des administrateurs qui n’avaient pas, dans tout le concours de leur exercice, construit un seul vaisseau. Qu’aurait dit Thémistocle s’il eût été témoin de cet abaissement ? « La faute n’en est point à notre zèle, disaient les membres du conseil négligent ; le chef de l’arsenal s’est enfui, emportant la caisse. » Que vous soyez innocens de ce malheur, la chose est possible, mais que vous osiez venir solliciter du peuple désarmé par votre incurie une récompense à laquelle ne se seraient point permis d’aspirer Cimon et Aristide, voilà ce qu’il est difficile