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en Italie : elle fut piteuse du commencement à la fin. La résistance au libérateur était générale et se reformait derrière lui à mesure qu’il avançait dans l’intérieur du pays. Il ne put mettre la main à Monza sur la fameuse couronne de fer, et force lui fut de recourir, pour la cérémonie indispensable, à une imitation de ce diadème symbolique; comme plus tard à Rome, il dut se contenter du sacre dans la basilique du Latran, les guelfes s’étant emparés de la cité léonine avec le sanctuaire de Saint-Pierre, où ils demeurèrent inexpugnables. De retour de Rome, il vint enfin mettre le siège devant Florence; il ne tarda pas à y succomber, le 24 août 1313, au mal qui le rongeait depuis les jours de Brescia, et presque toute l’Italie reçut cette nouvelle avec un véritable sentiment de délivrance : les temps étaient bien changés depuis les Hohenstaufen! C’est ce dont Dante ne s’était point douté en édifiant, pendant tant d’années, son système de cosmopolitisme impérial, et en saluant, dans la suite, de tous ses hosanna, le « Henri plein de grâce » qui devait réaliser son rêve ; c’est ce qu’il s’obstina à ne pas vouloir reconnaître, même après le misérable avortement de la folle entreprise. Décevant, mais éternel jeu de toute politique d’émigrés : le publiciste, aux yeux duquel le messie auparavant tardait tant à venir, le poète, qui n’avait cessé de reprocher aux premiers Habsbourg leur coupable négligence, — qui était même allé jusqu’à voir dans la mort violente d’Albert d’Autriche le châtiment céleste de cette inaction[1], — le même visionnaire, après la catastrophe de 1313, chercha de la consolation dans la pensée que le sauveur était venu... trop tôt!

... L’alto Arrigo, ch’ a drizzare Italia
Verra in prima ch’ ella sia disposta,


dira Béatrice, en montrant au paradis le trône qui est réservé au Lutzelbourg, l’un des plus glorieux sièges dans la rose flamboyante[2]... Alighieri demeura fidèle jusqu’au dernier jour à sa conception de la monarchie universelle, à son idéal du saint-empire romain; et, avant comme après la déception de 1313, il ne cessa d’exalter et de prophétiser cet idéal dans la grande œuvre de sa vie, dans le « poème sacré, » dont il va nous être maintenant sans doute plus facile de saisir l’inspiration et le but.

J’en demande pardon à mon illustre ami le commandeur, ainsi qu’à notre cher académicien, qui, tous les deux et à plusieurs reprises, ont appelé la Divine Comédie une épopée, voire l’épopée du moyen âge par excellence. Quelque courante que soit devenue l’expression,

  1. Purgat, V; 97-105, — Sur l’empereur Roiolphe, Purg., VII, 94-95.
  2. Parad., XXX, 137-138.