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CAUSERIES FLORENTINES

IV.[1]
LA TRAGÉDIE DE DANTE.

Après ce court intermède, qui ne laissa pas de faire une vive impression sur l’assistance, le prince Silvio Canterani reprit ainsi qu’il suit :

Vous souvenez-vous, messieurs, des deux fils de Japet, — audax Iapeii genus,-— des deux frères héroïques et infortunés que la croyance des Grecs plaçait au crépuscule des âges, alors que l’Olympe fut ébranlé par la lutte des dieux anciens et nouveaux ? Prométhée, celui qui pense en avant, dérobe le feu du ciel, devient le bienfaiteur du genre humain et expie son dévoûment par un martyre horrible ; mais pour n’avoir point suivi son frère dans sa téméraire entreprise, pour être resté attaché aux anciens dieux et fidèle au passé, Épiméthée, celui qui pense en arrière, n’en reçoit pas moins, lui aussi, un châtiment cruel, et des calamités seules s’échappent du trésor mystérieux qu’il tenait des mains de Pandore, la fée de « tous les dons… » Je me suis souvent demandé si ce mythe, aussi attachant qu’obscur, ne se rapportait pas, par hasard, à tous ces héros de la pensée que la fatalité du sort fait naître aux âges crépusculaires de l’histoire, dans ces périodes de transition où les anciens dieux, — les anciens principes, — doivent faire place aux nouveaux, dans ces époques, en un mot, que Saint-Simon appelait critiques par opposition aux époques dites organiques ? La vulgaire humanité sait s’accommoder de pareilles époques effacées, sans style et sans caractère, et prend aisément son parti d’y vivre au jour le jour avec ses aspirations basses et éphémères ; mais les génies de

  1. Voyez la Revue du 15 janvier, du 15 février et du 15 mars.