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sur l’article 14, avec un motif ou un autre, est pour nous un coup d’état. Voilà ce qu’on croyait ce soir... On disait encore la presse menacée la première. Cela ne nous étonnerait point, car dans le mouvement qui vient d’avoir lieu en France, la presse a l’honneur, qu’elle ne désavoue pas, d’être le principal coupable; mais elle résistera, elle se fera condamner s’il le faut, et protestera de tous ses moyens contre la violation des lois...» Et, comme pour mettre un raffinement de plus dans ses défis, il ajoutait : « Nous ne croyons pas encore aux bruits qui circulent... Les ministres ne voudront pas jouer leurs têtes pour faire honneur à la parole de leurs partisans. L’heure fatale viendra sans doute, car il n’y a malheureusement pas d’exemple d’un parti corrigé par l’expérience, mais cette heure n’est pas venue : nous ne la craignons ni ne la souhaitons. » Il parlait ainsi le 21 juillet. Avant que cinq jours fussent écoulés, le coup d’état était accompli, tout au moins tenté par ces ordonnances, où Charles X et M. de Polignac, avec leur désastreux aveuglement, croyaient voir le salut, — que le ministre de la marine, M. d’Haussez, ne signait qu’en évoquant le souvenir de Strafford ! La fatalité l’avait emporté; les ordonnances déchaînaient la lutte qui en « trois soleils, » selon le mot de Chateaubriand, allait changer la destinée de la France, qui pendant trois jours se partageait pour ainsi dire entre trois camps divers : le camp du peuple et de la révolution à Paris, le camp des illusions à Saint-Cloud, le camp d’une royauté nouvelle à Neuilly.

Une fois la lutte ouverte, M. Thiers y était tout entier de l’esprit et du cœur, par le conseil et par l’action ; il était surtout, si l’on veut, au début et au dénoûment. Je ne veux pas suivre cette révolution de trois jours dans toutes ses péripéties; je voudrais simplement préciser l’intervention décisive de M. Thiers sur deux points essentiels, aux deux momens principaux. Ainsi, à peine les ordonnances avaient-elles paru le 26 juillet, le National était aussitôt comme le quartier-général des écrivains de l’opposition. M. Thiers le premier proposait la protestation des journaux, qui se résumait en ces mots : «Le régime légal est interrompu, celui de la force est commencé. L’obéissance cesse d’être un voir. Les citoyens appelés les premiers à obéir sont les écrivains des journaux; ils doivent donner les premiers l’exemple de la résistance à l’autorité qui s’est dépouillée du caractère de la loi... C’est à la France à juger jusqu’où doit s’étendre sa propre résistance... » La promesse qu’il avait faite cinq jours avant, il la tenait, — et cette protestation, il ne voulait pas qu’elle restât un manifeste anonyme publié par les journaux; il entendait lui donner la sanction de la signature. « Il faut un acte, disait-il avec véhémence, il faut des noms au bas, il faut des têtes au bas ! » Une discussion des plus vives, des plus confuses, s’était