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qu’elle était, cette restauration, elle avait été assurément un bienfait. En dix années, tout avait singulièrement changé. La France n’était plus la grande vaincue rançonnée et humiliée de 1815. Diplomatiquement, elle avait repris sa place en Europe avec M. de Richelieu, elle avait reconquis son crédit dans les cours et auprès des peuples. Rien ne se faisait plus sans elle, et cette guerre d’Espagne elle-même, qui avait été un grief pour les libéraux, elle avait du moins servi à réveiller un peu partout le sentiment d’une nation militaire toujours vivante. La France pouvait peser encore dans les conseils du poids de son alliance et de son armée rajeunie, ramenée au feu. Intérieurement la liberté pouvait être laborieuse, contestée, soumise à de pénibles épreuves, à de dangereux mouvemens de réaction, elle gardait toujours sa vivace et irrésistible énergie; elle avait pour elle l’opinion, l’instinct de la France nouvelle, le régime constitutionnel, le mouvement des esprits, toutes les forces morales conspirant pour sa défense. La restauration était heureusement condamnée à ne pouvoir gouverner qu’un pays libre. Les armes dont on se servait contre elle, c’est elle qui les avait données, et M. de Rémusat disait avec sa leste bonne grâce : « Je n’ai jamais eu un grand fonds d’aigreur contre la restauration; je lui savais gré en quelque sorte de m’avoir donné des idées que j’employais contre elle. » Ce brillant essor des intelligences qui a été l’honneur d’un temps, qui aurait pu en être la force, c’est par elle qu’il avait été possible.

La France lui avait dû de se relever de toute façon en dix années. Au fond, entre la royauté et la France nouvelle, entre la restauration et les libéraux, il n’y avait aucune incompatibilité absolue. Le grand traité d’alliance entre eux était toujours la charte; mais il y avait une fatalité, un redoutable malentendu : il y avait la défiance ! La restauration ne croyait pas à la sincérité des libéraux; elle voyait dans le libéralisme la révolution toujours prête à renaître, elle se raidissait contre le péril et en montrant ses alarmes elle irritait l’opposition sans pouvoir la dominer. Les libéraux à leur tour ne croyaient pas à la sincérité de la restauration; ils voyaient en elle une ennemie de la société nouvelle, de la charte elle-même, ils ne cachaient pas leurs soupçons, et ils ne faisaient qu’ajouter au trouble d’un gouvernement prompt aux réactions.

C’est ce fatal malentendu qui compromettait tout. Il y avait sans doute des trêves, des momens où un souffle de conciliation semblait tempérer la lutte, dissiper les ombrages, et la dernière de ces trêves était le ministère Martignac en 1828; mais ce n’était encore qu’une trêve. La défiance restait au fond des cœurs, obstinée et agressive chez les uns, mesurée et attristée chez les autres;