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des péripéties toujours nouvelles et toujours sanglantes, dans ses excès et dans ses ambitions légitimes, dans le mouvement de ses partis comme dans le déploiement de sa puissance, dans ses personnifications sinistres ou héroïques. Tout ce passé sortait du domaine des légendes et des souvenirs pour reparaître à tous les yeux dans sa réalité vivante, multiple et pathétique.

C’était la première histoire de la révolution, et cette histoire, elle était écrite par des hommes qui devaient à leur âge de n’avoir point été mêlés à ce passé qu’ils racontaient, d’être étrangers aux fautes et aux crimes d’une époque de combat. Les deux écrivains, par leur jeunesse et par la position où ils se trouvaient placés, avaient l’avantage de pouvoir profiter des témoignages des derniers survivans u sans partager leurs passions, » comme aussi de pouvoir rester attachés à la cause de la révolution « sans la confondre avec ceux qui l’avaient mal servie. » Leurs ouvrages, loin de se nuire ou de se contrarier, se complétaient par la diversité des talens. Celui de M. Mignet était comme une condensation savante et lumineuse de vingt années de révolution dans un récit d’un vigoureux relief[1] ; il s’inspirait visiblement d’une pensée réfléchie, d’une certaine philosophie de l’histoire, et ce que M. Mignet résumait dans un précis demeuré un modèle, M. Thiers le racontait avec mille détails, avec une curiosité infinie de toutes choses, — avec le même esprit. L’un et l’autre rendaient à la révolution de France le service de la débrouiller, et en la débrouillant de la représenter non plus comme une convulsion accidentelle d’anarchie, mais comme une crise fille de la logique de l’histoire, mère et source d’une société nouvelle.

Parce que M. Mignet et M. Thiers, dans leurs récits, faisaient la part de la nécessité, de la puissance irrésistible des choses, parce qu’au lieu de scinder ou de renier la révolution, ils l’embrassaient tout entière et ils s’efforçaient de l’expliquer, est-ce à dire que ces jeunes esprits fussent comme les complices rétrospectifs de tout ce qu’ils racontaient? Était-ce la réhabilitation indistincte, systématique et inquiétante de toutes les phases de la révolution, de la terreur aussi bien que de la défense du sol menacé, des tyrannies sanguinaires, spoliatrices aussi bien que des actes destinés à survivre ? Était-ce la glorification de la fatalité, du succès, du fait accompli? Il y avait sans doute parfois une certaine indulgence déguisée sous l’impartialité. Assurément ces jeunes annalistes d’un temps qui n’avait pas eu encore d’histoire ne voulaient point incliner tous les sentimens de vérité et de justice devant la déesse d’airain,

  1. Le livre de M. Mignet a pour titre : Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu’en 1848, 2 vol. in-18.