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inné de M. Thiers c’est l’action, et avec cet instinct de l’action il en a la langue, une langue à lui, simple, claire, assez souvent négligée, toujours courante et vive. C’est ce qui explique le polémiste, l’écrivain, l’historien, avant d’expliquer le politique, le parlementaire et le ministre. C’est ce qui explique aussi comment et en quoi il différait dès lors de ces autres esprits sérieux, élevés, un peu dogmatisans, pour qui il avait plus d’estime que de goût et dont il parlait quelquefois dans l’intimité assez malicieusement. Il était homme à écrire un jour à Ampère : « Faites-nous de ces savans articles qui sont savans sans être insupportables comme ceux de nos amis du Globe. » Il y avait entre lui et les amis du Globe des incompatibilités d’humeur et de caractère qui n’ont pas laissé d’avoir un rôle dans la politique du temps.

Il différait, d’un autre côté, des libéraux mondains, de ces jeunes whigs français qui devenaient une des forces de l’opposition nouvelle. Ceux-là tenaient à la haute société, à des familles qui avaient occupé, qui occupaient la veille encore des fonctions publiques, et ils étaient avant tout des Parisiens. Ils se ressentaient de cette vie sociale qui, sans enchaîner l’essor de leurs convictions donnait à leur libéralisme un caractère particulier. M. Thiers avait une tout autre origine. Il a dit depuis dans un jour de libre familiarité; « Par ma naissance j’appartiens au peuple, par mon éducation je suis de l’empire, par mes goûts, mes habitudes, mes relations, je suis de l’aristocratie. » Il avait certes raison, il a été de la plus haute aristocratie, celle du génie. Il était fait pour être bientôt, selon le mot de M. de Talleyrand, non un parvenu, « mais un personnage arrivé. » A ses débuts, il avait l’originalité d’un nouveau venu portant dans le monde parisien la verdeur d’un jeune homme sorti d’une classe obscure et les saillies de sa nature méridionale. Il arrivait du fond de sa province avec ses idées et son talent. Par son âge comme par son esprit, il devait se lier avec les jeunes libéraux du monde qu’il rencontrait dans quelques salons, chez M. Laffitte, chez M. Ternaux; il allait plus loin qu’eux, il était naturellement d’une opposition plus avancée, plus révolutionnaire si l’on veut, et dès les premiers pas, dans cet article par lequel il se signalait, où il s’attaquait à M. de Montlosier relevant un drapeau d’ancien régime, il prenait hardiment position au cœur de la société créée par la révolution française. « M. de Montlosier, disait-il dans ce morceau qui avait déjà l’allure d’un discours, M. de Montlosier parle sans cesse des vanités plébéiennes, il rappelle continuellement notre bassesse et nos crimes. Je n’invoquerai pas les lois contre cette insulte aux classes, mais j’opposerai à ces injures chevaleresques le langage de ma raison bourgeoise et écolière. Oui, dirai-je à M. de Montlosier, nous avons des prétentions