Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la guerre d’Espagne, après une excursion rapide à travers la Suisse, la Provence et le Languedoc, il revenait avec un récit aussi attrayant qu’instructif : les Pyrénées et le Midi de la France pendant les mois de novembre et de décembre 1822. Il mêlait à ses impressions de politique en voyage les descriptions à la fois précises et impayées de la vallée du Graisivaudan, des beautés de Marseille, sa ville natale, des sites pyrénéens, de l’éblouissante perspective du prieuré de Saint-Savin. Au même instant, sans mesurer encore la portée de l’œuvre qu’il allait entreprendre, il se préparait déjà à l’histoire de la révolution, dont les premiers volumes datent de l’automne de 1823.

Ainsi, avant que deux années eussent passé, M. Thiers se signalait dans tous les sens, sous toutes les formes par la vivacité du talent. Il commençait à être salué comme un jeune athlète à la brillante armure dans les mêlées nouvelles du temps. Peu auparavant, à propos de Charles de Rémusat, M. Guizot venait de parler de « cette jeune génération, l’espoir de la France, qui naît à la vie politique, que la révolution et Bonaparte n’ont ni brisée ni pervertie, qui aime et veut la liberté sans que les intérêts ou les souvenirs du désordre corrompent ou obscurcissent ses sentimens, à qui enfin les grands événemens dont fut entouré son berceau ont déjà donné, sans lui en demander le prix, cette expérience qu’ils ont fait payer si cher à ses devanciers. » M. Thiers, lui, allait dire bientôt d’un ton plus délibéré, en parlant de lui-même et de ceux avec qui il commençait à nouer amitié : « Nous sommes la jeune garde. » Il était sûrement, du droit du talent, de cette élite des générations en marche. Il se trouvait dès son apparition un des premiers, un des chefs de cette jeunesse libérale qui grandissait déjà dans toutes les régions de la politique et de l’esprit, qui embrassait l’avenir avec confiance, qui a rempli de sa sève, de ses promesses, de ses œuvres dix des plus belles années du siècle.


II.

La restauration a été un temps à la fois heureux et malheureux. Elle a eu cette fortune de donner à la France, au lendemain des désastres de la guerre, une grandeur nouvelle par des institutions généreuses, par l’éclat des tribunes et le réveil des esprits. Elle avait le malheur de s’être confondue en naissant avec des passions d’ancien régime, des ardeurs et des menaces de réaction qui faisaient de la royauté bourbonienne une suspecte ou une ennemie au milieu d’une société renouvelée par la révolution et l’empire. C’est le secret de son histoire, de son caractère, de ses luttes et de sa ruine. Elle arrivait justement, entre 1821 et 1824, à une crise