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accessit. Quand on brisa le sceau qui cachait le nom des lauréats, on s’aperçut que les deux ouvrages étaient du même auteur ! Le tour avait réussi, l’académie provençale se trouvait un peu mystifiée, et dans sa première bataille le brillant débutant avait mis son industrieux et piquant génie. Tel qu’il était, même à part le jeu de la mise en scène, cet Éloge de Vauvenargues méritait son succès et dépassait le cadre d’une petite académie de province. Il est resté une de ces œuvres de jeunesse où se dessinent les linéamens d’un caractère et d’un esprit. C’est déjà M. Thiers presque tout entier, pensant avec aisance, observant avec finesse et sans amertume, écrivant d’un style simple, clair et courant, de ce style « modelé sur les choses, » représentant tout avec vérité et sans saillie. Son idéal se déclare du premier coup. Il peint, chemin faisant, les moralistes, — et Montaigne le sceptique, le sage, «qui préfère le doute comme plus facile, peut-être aussi comme plus humain dans un temps où l’on s’égorgeait par conviction, » et La Rochefoucauld, l’analyste profond, mais incomplet des secrets du cœur, et La Bruyère « le génie véhément et élevé » qui a « l’impatience de la vertu » comme Tacite en avait « la douleur. » A la suite de ceux-ci, nouveau venu dans cette famille de moralistes, se dégage Vauvenargues avec ses vues sur l’homme, son âme généreuse, son goût pour les actions fortes et ses élans comprimés. Son panégyriste aimait en lui, j’imagine, moins le penseur « silencieux et souffrant, » refoulé sur lui-même, que le jeune homme sensible à ces « premiers regards de la gloire » plus doux que « les premiers feux de l’amour. » Dans tous les cas, par cet essai un écrivain venait certainement de naître à Aix et ce double succès, — celui de M. Thiers avec l’Éloge de Vauvenargues, celui de M. Mignet avec le discours sur les Institutions de saint Louis, comblait surtout un désir des deux amis : il leur ouvrait la route de Paris et les transportait ensemble sur un théâtre à la fois plus vaste et plus animé où leurs facultés devaient trouver, avec des horizons agrandis, tous les stimulans de la vie publique et intellectuelle. M. Mignet s’acheminait le premier sur Paris au mois de juillet 1821 et au mois de septembre M. Thiers l’avait déjà rejoint.

Unis dans la grande aventure comme dans leur vie d’étudians, ils étaient partis avec leurs couronnes. Ils débarquaient dans la ville des agitations et des révolutions à cette heure décisive du second ministère Richelieu, et pour première demeure ils choisissaient dans un petit hôtel du passage Montesquieu, deux petites chambres contiguës, plus que modestement meublées, où s’abritaient pour quelque temps ces fortunes fraternelles destinées à grandir si vite par le talent. Ils arrivaient inconnus, sans relations, avec peu de ressources, mais avec la jeunesse, l’ardeur du travail, la volonté