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dans un discours laconique et tout soldatesque. Le Nestor militaire de Berlin, M. de Moltke, s’est plu à développer avec plus d’étendue devant le parlement les mêmes idées. Il a montré l’Allemagne ouverte et menacée par toutes ses frontières, ayant à se défendre partout, et partout contre des armées puissantes. La Russie, selon M. de Moltke, la Russie, même avant la guerre avec la Turquie, précisément pour cette raison, avait considérablement accru les cadres de son armée, et, la paix faite, elle a non-seulement maintenu, mais fortifié cette organisation, sur laquelle on a gardé un silence absolu. La France, depuis dix ans, aurait « plus que doublé son armée, » elle pourrait opposer immédiatement plus de six cent mille hommes. La France s’est fait une ceinture de forteresses, elle a des réserves considérables et instruites, tout ce qui peut la rendre redoutable. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur l’importance relative des armemens de la Russie aussi bien que de la France vis-à-vis de l’Allemagne ; ce qu’il y a simplement à remarquer pour le moment, c’est qu’en mettant en scène les nations voisines, M. de Moltke ne leur attribue pas des « intentions hostiles » et que ce qu’il dit, il ne l’applique pas aux circonstances présentes. Il parle d’une manière générale, presque théorique, et chemin faisant il sème les observations bonnes à recueillir.

Ainsi, avec son autorité d’organisateur militaire consommé, il invoque l’exemple des « voisins de l’ouest, qui ne peuvent se résoudre à réduire la durée du service dans l’armée française, bien que la proposition en ait été faite plusieurs fois. » C’est une opinion qu’on peut enregistrer et méditer au Palais-Bourbon. M. de Moltke, sans faire des incursions directes dans la politique, a cependant aussi sous ce rapport des mots profondément justes. Il fait observer u qu’un gouvernement faible est un malheur pour le pays qui le possède et un danger pour le voisin. » C’est encore une réflexion qu’on peut recueillir et dont on peut faire son profit à Paris. M. de Moltke, lui, veut un gouvernement fort, une armée accrue pour que l’Allemagne puisse se protéger, se défendre, et, par surcroît, en parlant de ce qu’il appelle modestement une œuvre de protection et de défense, il ajoute discrètement : « Pour cela, nous ne serons peut-être pas seuls. » C’est une allusion à cette alliance austro-allemande que, de son côté, le chef des nationaux-libéraux, M. de Bennigsen, a célébrée avec pompe comme « une impérissable feuille de laurier ajoutée à la couronne du chancelier. » Une alliance puissante, un gouvernement fort, une armée colossale, avec cela on peut se protéger, se défendre ; oui, vraiment, on peut vivre en sûreté, et tout ce que les voisins paisibles ont à demander, c’est qu’avec de si bonnes armes on n’ait pas l’idée de se protéger et de se défendre contre ceux qui ne songent à attaquer ni à troubler personne.

Ch. de Mazade.

Le directeur-gérant, C. Buloz.