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Le commissaire, M. de Melius, annonça au conseil que son prince, comme chancelier de l’empire, l’avait chargé de prévenir son altesse sérénissime le prince de Condé que, s’il se refusait plus longtemps à licencier les troupes soldées réunies sous ses drapeaux, il serait forcé de faire marcher toutes ses troupes pour l’y obliger par les moyens de force qui seraient en son pouvoir. On lui accordait un délai de vingt-quatre heures pour s’exécuter.

Cet ordre impératif, si impertinent dans sa forme brève, révolta les officiers qui siégeaient au conseil; et la communication de M. de Melius était si imprévue quelle fut suivie pendant quelques minutes du silence le plus agité. Le comte de Vioménil, ne pouvant contenir le sentiment d’horreur qu’il éprouvait d’une telle vexation, prit la parole et répliqua à M. de Melius : Votre maître ignore sans doute l’énergie dont peuvent être capables trois mille gentilshommes français qui ont déjà sacrifié leur fortune et qui ont mis leur honneur à se dévouer, au péril de leur vie, à la défense de leur roi!

Fort étonné lui-même d’une attitude qu’il ne soupçonnait pas, habitué qu’il était dans son pays à tenir plus de compte de la force que du droit et à plus ménager les caprices de la politique que la dignité des hommes, M. de Melius répondit qu’il lui était extrêmement pénible d’être chargé d’une commission aussi désagréable. Il ajouta que, forcé d’obéir aux ordres de Monseigneur le duc de Wurtemberg, il n’avait pu parler autrement que comme il lui était dit de le faire, mais qu’il ne perdrait pas un instant pour soumettre à son prince les représentations respectueuses qu’il croirait le plus capables de le déterminer à adoucir la loi de rigueur qu’il avait jugé bon d’imposer. M. de Melius s’étant retiré, tous les membres du conseil prirent à partie M. de Vioménil, lui reprochant d’avoir mis trop peu de ménagemens dans ses expressions. Celui-ci, d’humeur vive, dégoûté de la diplomatie, des complaisances, des voies souterraines et des mots couverts, indigné de la faiblesse de ses collègues, autant qu’il l’était de l’indécision des royalistes de Strasbourg, lâcha la bride à l’emportement de son honnête et loyale nature.

« Je me propose, messieurs, répondit-il aux officiers, d’avoir avec le commissaire allemand, sur ce même sujet, une conversation particulière qui ne sera pas aussi modérée que mes paroles de tout à l’heure, et vous m’excuserez si je ne vous y invite point. »

Il partit le même soir et rejoignit M. de Melius à la troisième poste, à Offenbourg. Il lui dit alors, à titre de confidence, qu’après son départ du quartier-général les gentilshommes français, ayant appris l’objet de sa mission et la nature de la communication dont son souverain l’avait chargé, s’étaient montrés fort irrités et avaient unanimement décidé d’aller sur-le-champ attaquer le duc de Wurtemberg