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dont ils auraient eu besoin. M. de Courtivron manifestant avec vivacité son regret de voir les autres chefs de corps refuser de le seconder, je lui fis proposer d’exécuter à lui seul la surprise de la citadelle, et par là de forcer la ville.

M. de Courtivron examina, discuta, hésita, se déroba et ne montra pas plus de force d’âme que les autres officiers. M. le prince de Condé se décida, sur ce dernier refus, à se retirer avec le corps qu’il commandait dans l’électorat de Mayence.


La nouvelle combinaison de M. de Vioménil, aussi hardie qu’originale, offrait de grandes chances de succès, quoiqu’il parût bizarre de faire donner l’assaut à une citadelle par de la cavalerie.


La garnison de la citadelle se composait d’un seul bataillon de volontaires ; trois fois par semaine, la moitié des hommes se rendaient le matin en corvée à Strasbourg pour s’y pourvoir de légumes et y prendre les rations de pain.

M. de Courtivron devait l’un de ces jours de corvée, concerté à l’avance, simuler avec ses deux régimens une promenade militaire, longer les fossés de la citadelle et se diriger sur le pont de Kehl; au signal, obliquer sur la porte de la citadelle et la traverser au trot pour se porter rapidement, de l’autre côté, à la porte dite de Strasbourg, en désarmer la garde et lever le pont-levis. Les soldats, attirés par le bruit de la cavalerie, descendent dans les cours ou se montrent aux fenêtres. L’arrière-garde désarme le poste du pont qui n’est que de vingt hommes et le poste de la porte de Kehl, tandis que les escadrons du centre, mettant pied à terre, s’élancent par petits groupes dans les casernes, s’emparent des armes, enferment les officiers et sabrent quiconque fait mine de résister.

Vingt minutes suffisent pour la surprise de la citadelle. Cela fait, on braque sur la ville l’artillerie des remparts; sous la protection du feu des canons, quelques centaines de carabiniers sortent et prennent position en face du parc d’artillerie. Six coups de canon, signal convenu, jettent en armes, dans les rues de la ville, dix mille bourgeois catholiques et dans la campagne, trente mille paysans royalistes avertis à l’avance par les curés. En même temps, l’infanterie de l’armée de Condé, massée dès l’aube au pont de Kehl, où elle arrive à marches forcées pendant la nuit qui précède le coup de main, prend possession de la citadelle et y arbore le drapeau blanc.

La ville est sommée de se rendre. Si elle s’y refuse, on la menace d’un bombardement. On ne met pas en doute que les négocians de Strasbourg, effrayés de cette éventualité qui les exposerait à la perte totale de leurs fortunes, ne déterminent une prompte reddition. Si les républicains hésitaient, malgré l’investissement des paysans et l’artillerie