Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérables qu’ait subis la coalition des émigrés et des Allemands. Il eut pour conséquence de retarder l’invasion d’un an.

Le grand-conseil se décida aussi à expulser les émigrés les plus compromis; ce fut après de vifs débats. Fribourg et Neufchâtel intriguaient de nouveau pour qu’on permît le passage aux Impériaux.


Prenez garde, disait Ochs, si l’évêque obtient sa garnison, le duc de Wurtemberg en réclamera une comme comte de Montbéliard, le roi de Prusse demandera à faire passer quelques hommes à Neufchâtel, et notre indépendance est perdue. Ce sont de mauvais Suisses ceux qui se résignent à introduire les Impériaux sur notre territoire, libre depuis 1352, de crainte de quelques émotions, de quelques émeutes entre nous.

On vote sur le renvoi du comte de Montjoye, parent de Metternich et de toute la coterie féodale, son maintien entraînait tout. Quinze voix pour le renvoyer, quinze voix pour le garder. C’était à moi à décider; je voyais des yeux menaçants ; un morne silence régnait dans la salle, j’opine pour le renvoi[1].


Le 20 avril 1791, un des députés de Strasbourg, M. de Schwendt, écrivait de Paris à Diétrich :


Les événemens qui se passent ici depuis huit jours ont fort échauffé les aristocrates[2] ; plusieurs sont partis et sans aucun doute ils sont allés joindre les fugitifs dans vos environs. Surveille bien les passagers; il vous en viendra de temps à autre à Strasbourg sous des noms supposés et des déguisemens pour connaître votre intérieur, l’esprit de la garnison et celui des officiers.


Les décrets sur la constitution civile du clergé et le séquestre des biens ecclésiastiques ajoutaient un nouveau ferment à toutes les causes de trouble qui agitaient la province. Le clergé, blessé dans sa conscience, excitait dans les villages la désaffection des catholiques pour un régime accepté d’abord avec enthousiasme et qui ne réalisait aucune des illusions qu’on s’était faites. Le cardinal de Rohan, discrédité comme individu, resté influent par sa dignité, ses possessions territoriales, ses richesses, agitait, de sa retraite d’Ettenheim, les curés et les fidèles. Les villages catholiques et les villages protestans engageaient une lutte de discussions qui souvent se changeaient en émeutes; les premiers blâmaient la spoliation du clergé, les seconds prêtaient main-forte aux municipalités chargées d’exécuter les décrets. La confusion était dans les intérêts comme dans les esprits. Les juifs, très nombreux en Alsace, revendiquaient

  1. Lettre de Ochs, du 18 février 1791.
  2. Il est interdit au roi de sortir des Tuileries pour se rendre à Saint-Cloud.