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sollicitations des émigrés ; Vioménil les pressait, de peur que l’Allemand ne remît la main sur une ville dont il se prétendait dépossédé par la force depuis 1681; eux, de leur côté, mal renseignés sur les sentimens patriotiques du comte, voyant surtout en lui le général des princes et l’hôte des Allemands, redoutaient de se livrer à un Français si compromis. Ces hésitations, ces contradictions se faisaient jour dans les deux camps. M. de Vioménil, à bout de patience, s’épuisant à maintenir la discipline dans ses remuantes et raisonneuses compagnies de gentilshommes, n’étant pas autorisé à forcer les portes de Strasbourg, pas même à se les faire entr’ouvrir, dégoûté du temps perdu et des occasions manquées, sollicitait sa retraite. Le prince de Condé l’exhortait à temporiser. Le 18 octobre 1791, il lui écrivait en ces termes :


J’ai reçu ce matin, en même temps, mon cher Vioménil, vos lettres du 13 et du 14. Je sens votre position; elle augmente notre reconnaissance; mais il n’y a que votre intelligence, votre patience et votre fermeté qui puissent venir à bout de concilier les deux extrêmes que nous avons à faire vivre ensemble. J’ai même encore un sacrifice à vous demander, c’est de rester où vous êtes, d’abord pour commander ces deux régimens, et puis, en cas qu’il arrive autre chose que je sais qui vous a été communiqué. Je pars pour Coblentz, et ce qui y sera décidé sera bien important.

Je ne comprends pas comment la lettre du vicomte, du 7, ne m’est parvenue que le 18. Le cardinal me mande qu’il a logé plusieurs compagnies; avec de la patience, peut-être parviendrez-vous à faire loger les autres.

Comptez, mon cher Vioménil, sur toute notre reconnaissance et sur l’amitié particulière que vous m’avez inspirée.

Si vous avez besoin d’argent pour vous, mandez-le-moi tout franchement; je vous en ferai passer.


Six semaines se perdirent encore dans ces alternatives; enfin, lorsque, dans les premiers jours de décembre 1791, tout était prêt du côté des princes, rien ne l’était plus en Alsace. Le 16 décembre, c’est-à-dire deux jours après la déclaration de Louis XVI à l’assemblée, déclaration que les émigrés ne connurent que vers le 25, le prince de Condé écrit à M. de Vioménil :


Vous désirez rester où vous êtes et ne plus vous mêler de cela; je le comprends. Je verrai si l’on peut se passer de vous; j’en doute, et il est très vraisemblable que je vous enverrai un courrier pour venir. Cela ne retardera que de vingt-quatre heures, et il n’y aura pas grand mal; vous aurez toujours gagné cela. Si je ne vous envoie point de courrier, vous resterez tranquille, et vous serez sûrement plus heureux que je ne vais l’être ; mais ce ne sera pas pour longtemps.