Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’exaltent; les faits du dehors vont exercer désormais une influence décisive sur les variations de la politique intérieure ; chaque provocation venue d’outre-Rhin, chaque insolence de l’étranger, produiront en France une émotion, une secousse, des représailles.

Quand on juge les événemens à une distance qui permet d’en peser les causes et d’en apprécier les conséquences, il est facile d’être sévère; il serait équitable d’être indulgent. Qui sait ce que nous-mêmes aurions fait, mis à la place de ceux dont nous blâmons si vivement les actes? Il est malaisé, aux époques de trouble, d’avoir une vue nette de la route à suivre ; quand plusieurs voies sont ouvertes, offrant les mêmes périls, des clartés semblables, et que les principes en jeu peuvent être discutés avec bonne foi en sens contraire, qui donc oserait frapper d’un arrêt absolu des entraînemens irréfléchis ou des calculs sincères et malheureux?

La question du serment militaire délibéré dans la séance de l’assemblée du 22 juin 1791 vint soudain provoquer dans l’armée française de nombreux mouvemens. Des centaines d’officiers refusèrent d’obéir au décret; l’Irlandais Berwick, moins tenu qu’un Français à sentir les nuances du patriotisme, déserta avec armes et bagages, livrant au camp de Coblentz le contingent précieux d’un corps d’élite. Des colonels suivirent cet exemple, emportant avec eux la caisse du régiment et les drapeaux : le vicomte de Mirabeau, le comte de Bussy, le comte de la Châtre et d’autres encore s’imaginèrent qu’ils seraient sur terre française partout où flotterait le drapeau royal. Ce fut une troisième émigration, plus nombreuse, plus coupable que les deux premières.

Un officier qui prit part, quatre ans plus tard, à la sinistre aven- ture de Quiberon, M. de la Roche-Barnaud, a résumé les opinions de ses amis. Le régiment de Vivarais, dont il faisait partie, tenait garnison à Rocroi; le 28 juin, le corps d’officiers est convoqué d’urgence chez le colonel pour prêter le serment. — Le roi n’est pas libre, les députés sont des révoltés auxquels il serait honteux d’obéir ; nous refusons le serment. — Tel est, en quelques mots, le résumé du débat. Quatre heures après, ces messieurs quittaient la ville avec armes et bagages sans que personne s’opposât à leur désertion. Le soir même ils passaient la frontière. « Notre devoir était de quitter la France et de chercher des appuis à l’étranger, dit cet officier[1] ; le roi se déclarait prisonnier, les princes faisaient appel à notre dévoûment; Henri IV ne s’était-il pas, lui aussi, servi des étrangers pour conquérir la couronne qu’on lui disputait? Les vrais déserteurs étaient les nobles qui demeuraient inertes et

  1. Mémoires sur l’expédition de Quiberon, précédés d’une notice sur l’émigration de 1791, etc.; Paris, 1819 et 1824, in-8o.