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traces de décomposition : la mer n’enlève donc pas d’alcali aux roches feldspathiques qu’elle désagrège. Avec de l’eau chargée d’acide carbonique, l’action est plus énergique, pourvu toutefois qu’on opère dans un vase de grès, car dans un cylindre de fonte, la formation d’un peu de fer carbonate suffit à arrêter la réaction. La potasse enlevée au feldspath n’était pas interposée dans son intérieur : elle provient d’une décomposition réelle, puisque, si la trituration est opérée à sec, la poussière obtenue ne cède aucun alcali à l’eau, même après un contact très prolongé. Dans les lavages de kaolin ou de feldspath, à la manufacture de Sèvres, à l’établissement de M. Gindre, à Itsassou, les eaux sont aussi alcalines. De même les rivières qui roulent des débris granitiques, la Sarthe, entre autres, d’après M. Guéranger, leur empruntent de la potasse. MM. Guignet et Teller ont constaté une réaction analogue dans la baie de Rio de Janeiro, par suite de la destruction exceptionnellement active des roches feldspathiques près de ses rivages. On reconnaît par cet ensemble de faits une nouvelle cause de dissémination de la potasse, tenue en réserve dans les silicates et arrivant dans la circulation végétale par la trituration et le lavage des roches sous les glaciers, les torrens et les fleuves. Peut-être trouvera-t-on là les élémens de quelque application industrielle ou agricole.

Les glaciers qui descendent des champs de névés ne se bornent pas à polir, à arrondir, à moutonner leur fond et leurs bords, en poussant leurs moraines : les cailloux qui sont emprisonnés sous leur masse y restent enchâssés, et, grâce à l’énorme pression qu’ils supportent, jouent le rôle de burins pour graver sur les parois les plus dures tantôt des stries fines, tantôt de profondes cannelures. Une disposition simple permet de reproduire les détails du phénomène. Une table de roche granitique est soumise à l’action de matériaux divers, pressés par un bloc de bois et mus avec une vitesse variable à volonté. On reconnaît ainsi que le sable ne trace aucune strie : il s’use trop vite et sert seulement d’émeri pour le polissage. Les cailloux durs s’émoussent également, tournent et s’arrondissent; après avoir dessiné des stries déliées, ils sculptent de larges sillons. Une roche résistante peut être rayée par des matériaux plus tendres, s’ils sont animés d’une vitesse suffisante; il y a donc une sorte de compensation entre la vitesse, la dureté et la pression. Si les cailloux, au lieu d’être saisis dans une masse rigide, sont seulement empâtés dans une argile boueuse, ils rentrent dans son épaisseur pour y rester noyés, et le striage est insignifiant. Non-seulement les roches polies et rayées se rencontrent dans le bassin des glaciers actuels, mais bien au delà de leurs limites elles