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je ne redoutais l’impression que me laisse toute visite, même celle d’un ami. A force de ne s’occuper que d’une chose, on lui donne une importance qu’elle n’a pas, je le sais, et je ne me fais guère d’illusion sur le résultat de mes efforts. Cependant, il y a si longtemps que je m’ingénie à faire parler mes personnages, j’ai mis une telle ténacité à recommencer vingt fois un geste, une attitude... que l’impassibilité d’un spectateur, aussi bien que ses complimens les plus polis, m’empêcherait, pour quelques jours du moins, de continuer un travail dont je ferai bon marché quand il sera découvert. Voilà comment il se fait, mon cher ami, que je suis un absent, un séquestré, un ours enfin, mais un ours qui n’oublie pas les témoignages d’affection que vous lui avez donnés. »

Ce travail que Hesse redoutait tant de montrer même aux regards les plus favorablement prévenus et dont il se sentait si bien d’humeur à faire, après l’achèvement « bon marché, » cet ouvrage ainsi condamné par lui à l’avance était cependant un de ceux qui peuvent aujourd’hui le mieux honorer son nom. Nous voulons parler des peintures qui décorent la chapelle de Saint-François de Sales, dans l’église de Saint-Sulpice, à Paris : vaste morceau, aussi important par les mérites de l’exécution que par les proportions mêmes, et qui marque dans l’histoire du talent de l’artiste une période de renouvellement et de progrès.

Ce n’était pas, au reste, la première fois que Hesse tentait une entreprise de peinture monumentale. Déjà, cinq ou six ans auparavant (1852), il avait peint sur les murs d’une petite chapelle de l’église de Saint-Séverin plusieurs épisodes de la vie de sainte Geneviève; mais, quelque louable que fût cet essai, il ne différait en réalité des œuvres antérieures de Hesse que par la nature des sujets traités et par les allures forcément plus graves du style. Pour tout le reste, en raison même des dimensions restreintes du champ donné et des figures, la chapelle de Saint-Séverin ne faisait guère que continuer le passé et confirmer ce qu’on savait déjà du talent de l’artiste. Les caractères de la tâche qu’il s’agissait de remplir à Saint-Sulpice étaient tout autres, les conditions qu’elle impliquait toutes nouvelles. Ici, en effet, l’expérience acquise dans la pratique de la peinture de chevalet ne pouvait suffire. L’étendue des surfaces à couvrir, les moyens pittoresques à employer pour établir un accord nécessaire avec les lignes de l’architecture environnante, tout exigeait dans l’ordonnance générale une sévérité et dans l’exécution une ampleur dignes du sujet et du lieu.

Hesse, quoi qu’il en ait pensé ou dit, a su dans ce grand travail résoudre à souhait toutes les difficultés du problème. Il a trouvé le secret d’élargir sa manière sans la dénaturer pour cela, sans l’affubler