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les témoins, il retourna en Italie pour y « continuer, comme il disait, ses études. » Rare exemple de modestie et de désintéressement, surtout si on le rapproche de certaines coutumes plus récentes, et dont on ne trouverait guère de nos jours un équivalent que dans le courage simple avec lequel M. Baudry, en possession déjà de la renommée, renonçait aux avantages immédiats qu’elle lui assurait pour aller, il y a quelques années, à Rome, faire des copies d’après les maîtres, au risque de se laisser momentanément oublier !

Le tableau que Hesse exposa après son second séjour en Italie attestait l’énergie de son zèle et, à plus d’un égard, les progrès de son talent pendant le temps qui venait de s’écouler. Toutefois, par la différence qu’il présentait dans le style avec les Funérailles de Titien, ce nouvel ouvrage déroutait un peu l’opinion qu’on s’était faite du peintre et de son dévoûment exclusif à la tradition vénitienne. Le sujet même qu’il avait choisi, — Léonard de Vinci donnant la liberté à des oiseaux qu’il vient d’acheter, — cette scène toute florentine et traitée à la manière des Florentins, c’est-à-dire avec la préoccupation dominante de l’élégance dans le dessin, semblait une sorte de démenti aux intentions dramatiques et aux prédilections de coloriste qu’exprimait le tableau précédent. On a dit que la tâche était parfois moins lourde de fonder l’honneur de son nom que d’être le second à le porter : la difficulté, dans le domaine de l’art, de se maintenir par une seconde œuvre à la hauteur d’un premier succès donnerait lieu à quelque observation analogue. Le public, en face d’une toile ou d’une statue signée par celui-là même qu’il applaudissait avec enthousiasme la veille, se montre bien souvent d’autant plus froid ou d’autant plus exigeant que sa faveur avait été à l’origine moins parcimonieusement accordée. liesse en fit l’épreuve au Salon de 1836, où figurait son Léonard de Vinci, et les tableaux de sa main qui, à partir de ce moment, parurent dans les expositions publiques ne purent, malgré tout le mérite que les bons juges y reconnaissaient, retrouver auprès de la foule la vogue qu’avait rencontrée son premier ouvrage. Plusieurs de ces toiles, il est vrai, — et plus justement qu’aucune autre le Triomphe de Pisani, aujourd’hui au musée du Luxembourg, — obtinrent généralement des éloges; mais des éloges entremêlés d’inévitables allusions au passé, comme si, par une sorte de convention tacite, on ne se fût cru le droit de s’occuper de l’artiste dans le présent qu’à la condition de l’opposer perpétuellement à lui-même.

Hesse resta donc jusqu’à la fin pour tout le monde le peintre des Funérailles de Titien, quoiqu’il ait en réalité ajouté à ce premier titre plus d’un autre pour le moins aussi sérieux. La faute d’ailleurs,