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de chaque jour aux procédés matériels de l’art et de lui enseigner, comme une tradition de famille, le respect de tous les devoirs. Son père, peintre en miniature assez habile, appartenait par ses origines, comme par les coutumes de sa vie entière, à cette classe de bourgeois loyaux et sensés qui, avant l’époque de la révolution, formaient la partie la plus saine de la société française, et dont les changemens survenus à partir de la fin du dernier siècle n’avaient pu ni déconcerter les habitudes ni décourager les vertus : honnêtes gens dans la plus sérieuse acception du mot, aux mœurs simples, aux principes fermes qui bornaient leur ambition à l’exercice sans mésaventure d’une profession une fois choisie et les joies de leur orgueil au bon témoignage de leur conscience. Son oncle, Auguste Hesse, auprès de qui il devait un jour siéger à l’Académie des Beaux-Arts, était lui aussi, un enfant de cette forte race, un de ces esprits sages et mesurés. Les œuvres qu’il a faites, et dont les plus importantes ont disparu en 1871 avec les murailles de l’ancien Hôtel de Ville, lui avaient mérité une place honorable parmi les peintres qui succédèrent dans notre école aux élèves de David : sa vie austère, son désintéressement à toutes les époques, sa pauvreté fièrement portée pendant les dernières années de sa vieillesse, ont laissé dans le cœur de ceux qui l’ont vu de près des souvenirs plus respectables encore.

C’est sous les yeux de ces deux hommes de bien, c’est à l’école de ces deux maîtres et, un peu plus tard, dans l’atelier du paysagiste Victor Bertin, enfin dans l’atelier des élèves de Gros, qu’Alexandre Hesse fit son apprentissage d’artiste. Ajoutons qu’il faisait en même temps son apprentissage de professeur; car, pour se procurer les moyens de poursuivre ses études sans imposer de nouvelles dépenses à son père, il essayait avec autant d’ingénuité que de courage d’enseigner à d’autres ce qu’il n’était pas bien sûr encore de savoir fort pertinemment pour son compte. Hesse n’avait pas plus de quatorze ans lorsqu’il s’attribuait ainsi un rôle moins profitable peut-être aux progrès de ses élèves qu’aux intérêts de sa piété filiale. Aussi devine-t-on la modicité du chiffre auquel se cotaient les leçons d’un maître de cet âge et de cette expérience. Et cependant, tout en prélevant sur ce maigre revenu de quoi subvenir à ses besoins de chaque jour, Hesse réussissait par surcroît à se former sou à sou un petit pécule destiné à lui fournir dans l’avenir les ressources nécessaires pour tenter un voyage en Italie. Près de dix années, il est vrai, se passèrent avant que ce rêve pût se réaliser; mais enfin, le prix de quelques portraits étant venu grossir l’épargne du jeune peintre, celui-ci se jugea d’autant plus riche qu’il se sentait aussi, grâce à ses progrès récens, mieux