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Le gouvernement rentrera-t-il dans les voies de la liberté, de la modération et de la paix ? Nous le désirons plus que nous l’espérons. Ce changement de politique suppose une évolution parlementaire qui n’est pas près de se produire. On est trop engagé pour reculer, tant que le pays ne donnera pas des signes visibles de son mécontentement. Les partis ont leur fatalité, surtout quand ils obéissent à leurs idées et à leurs passions. On peut craindre qu’en dépit des avertissemens qui lui viendront du parlement et d’ailleurs, la politique jacobine ne suive son programme jusqu’au bout, de façon à provoquer une violente réaction dans le pays. Alors, le jour des élections venu, on courrait aux urnes, et Dieu veuille que ce ne soit pour y jeter un bulletin fatal à la république ! Crainte vaine ! nous diront des républicains passionnés ou infatués. Pas si vaine, si l’on veut bien ne pas oublier l’histoire de notre république. Une éclatante vérité ne ressort-elle pas de cette histoire : c’est que, chez nous, la république, toujours amenée par les fautes de ses ennemis, a toujours disparu sous l’impression populaire des fautes et des fureurs de ses amis? Qui a fait la république de 1792? Les fautes et les défaillances du parti de la cour, l’impopularité de l’émigration. Qui l’a fait tomber sous le coup du 18 brumaire, malgré le prestige dont la couvrait la gloire de nos armes? La constitution civile du clergé, la mort de Louis XVI, le régime de la terreur. Et la république de 1848, sortie d’une façon si imprévue des barricades de février, mais acceptée par le pays, qui envoie à Paris une chambre républicaine, où a-t-elle perdu sa force et sa popularité, sinon dans le sang et l’horreur des journées de juin? On a bien vu, hélas! par les élections du prince Louis-Napoléon et de l’assemblée législative, que le pays n’était plus avec elle au coup d’état du 2 décembre. La voici qui rentre en scène après Sedan. Elle reprend courageusement la lutte contre l’étranger dans des conditions qui ne permettent de sauver que l’honneur. La défaite et une paix forcée n’avaient point accru son prestige, quand l’affreuse commune, sortie de son sein, faillit l’achever. C’est alors qu’elle a la rare fortune de trouver un homme qui la relève du champ de bataille, sanglante et presque sans vie, qui la ranime, lui gagne la confiance et les sympathies du pays, la conduit, comme par la main, dans la voie de la sagesse et du salut. Et quand la retraite de son illustre patron semble devoir rendre toutes les chances à la monarchie des Bourbons, il arrive que le chef de cette illustre maison refuse un trône qu’une assemblée veut abriter du drapeau national et entourer d’institutions parlementaires. Pour comble de bonheur, c’est cette assemblée qui fait de ses propres mains l’œuvre de la république constitutionnelle, en y mettant les garanties qui peuvent le mieux assurer son salut par sa sagesse.