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à perpétuité? Et qui vous répond qu’à défaut d’une monarchie traditionnelle, le suffrage universel n’élira pas une assemblée souveraine avec le mandat impérieux de donner un. maître qui en finisse avec l’anarchie ou la dictature de parti, où l’aura conduit la politique qui gouverne en ce moment? La dictature d’un homme, qu’elle soit d’origine militaire ou d’origine populaire : voilà ce que pourrait bien nous préparer cette politique, si le suffrage universel n’avait un autre programme et un autre drapeau sous les yeux.

On voit donc bien que ce n’est pas préparer la ruine de la république que de se séparer enfin de ceux qui lui créent des périls pour l’avenir, et d’en dire hautement les causes au parlement et au pays. Les amis de la république libérale restent fidèles à leur cause. Ils ont même la conviction de rester fidèles à leur parti. S’ils ont repris leur liberté, à qui la faute? qui est sorti des voies de cette république que son véritable père voulait tenir ouverte aux hommes sensés et vraiment patriotes de tous les partis? qui a porté la main sur cette magistrature qu’il avait toujours fait respecter, et qui a trouvé en M. Dufaure le dernier de ses défenseurs? qui a livré toutes nos administrations à ces passions et à ces ambitions politiques contre lesquelles Thiers les gardait avec une jalouse sollicitude, ce qui lui faisait dire qu’il aimait mieux voir les républicains dans les chambres que dans les administrations? C’est qu’il n’avait aucun goût pour les intrus de la politique. Qui trouve que la liberté n’est qu’une arme d’opposition, plus qu’inutile dans le gouvernement, une vieille guitare, bonne dans la disgrâce de la fortune pour émouvoir les passans, mais dont les accens agacent les oreilles quand on tient le pouvoir? Quel chemin nous avons fait depuis la présidence de Thiers ! Les républicains se trouvaient trop heureux alors d’avoir une part dans le gouvernement de la république. Ils ne parlaient que de l’ouvrir à tous les hommes de bonne volonté. Il était entendu que la république était la chose de tous et non la chose d’un parti. Aujourd’hui la porte de toutes nos administrations est fermée à quiconque n’apporte pas un certificat de zèle républicain. Cela ne vaut-il pas les billets de confession des plus mauvais jours de la restauration? On parle de dissidence regrettable, de scission fâcheuse. De quel côté sont les dissidens? Est-ce du côté où l’on a gardé et où l’on maintient intacte la noble et libérale tradition républicaine ? Est-ce du côté où l’on fait revivre la tradition jacobine? Le pays jugera. Le parti républicain libéral peut dire avec le Romain Sertorius :

Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis...


« La république est avec ceux qui en gardent les principes. Les vrais dissidens sont de l’autre côté. »