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son labeur, stimulera son zèle et lui apportera le bien-être. Pour atteindre ce but, il faut l’entente de tous. C’est pour cela qu’a été fondée l’association internationale. — On le voit, rien d’inquiétant dans ce manifeste. Michel Chevalier ou Stuart Mill, qui avaient parlé de l’association dans les mêmes termes, auraient pu le signer. L’Internationale affirmait aussi que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Cette idée semblait une application du principe du self help : elle valut à l’association nouvelle, même en France, les sympathies de beaucoup d’hommes distingués qui ne soupçonnaient guère comment elle devait être interprétée plus tard.

On trouve ici une preuve nouvelle de ce fait souvent observé que les mouvemens révolutionnaires vont toujours croissant en violence. Les initiateurs sont bientôt dépassés. Ils paraissent tièdes et ne tardent pas à être considérés comme traîtres. De plus exaltés les remplacent et s’usent à leur tour, jusqu’à ce qu’on arrive à l’abîme, où aboutissent les extravagances de la logique révolutionnaire.

Les progrès de la nouvelle association furent d’abord très lents. Quelques sociétés ouvrières anglaises adhérèrent. Les Italiens établis à Londres, d’abord tout acquis, se retirèrent plus tard, d’après les conseils de Mazzini. Le délégué Lefort, que le conseil général envoya à Paris, fut mal accueilli. Tolain et Fribourg, venus à Londres pour expliquer la situation, ne purent s’accorder avec Le Lubez, qui donna sa démission. On avait voulu organiser l’entente, et c’était la discorde qui régnait. Le congrès qui devait se réunir à Bruxelles n’eut pas lieu. On dut se contenter d’une simple conférence à Londres au mois de septembre. Les délégués du continent n’apportaient pas de bonnes nouvelles. Sauf en Suisse, les adhésions étaient rares. Les Belges se plaignaient de l’inertie de leurs compatriotes ; les Français des tracasseries de la police ; les Italiens de l’hostilité des mazziniens. Il fut reconnu qu’il fallait un congrès général, et on décida qu’il se réunirait l’an d’après à Genève.

Le 3 septembre 1866, la première séance s’y ouvrit en effet dans la brasserie Treiber, sous la présidence de Jung, qui représentait le conseil général. Il n’y avait en tout que soixante délégués, et ceux-là seuls dont les pouvoirs étaient en règle furent admis à prendre la parole. Les Français, au nombre de dix-sept, étaient en majorité. Outre Jung, le conseil général avait envoyé Odger, Cremer, Eccarius et Carter. Les statuts élaborés à Londres sous l’inspiration de Marx furent adoptés presque sans changement. Ils sont très habilement conçus. Ils offrent une application bien entendue du système fédéral et du suffrage à plusieurs degrés. — L’initiative locale est respectée, et en même temps l’autorité centrale, émanation des divers