Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avaient du reste rien de révolutionnaire ; on aurait dit plutôt une société pour l’étude des questions sociales. Un conseil général fut nommé. Il était composé de: Odger, président; Wheeler, caissier; Cremer, secrétaire, Le Lubez pour la France, Wolff pour l’Italie, Marx pour l’Allemagne, Holtory pour la Pologne et Jung pour la Suisse. Pour couvrir les dépenses, un fonds fut formé. Il s’éleva, dit-on, à trois livres sterling. C’était peu pour remuer le monde.

Mazzini, par son secrétaire Wolff, proposa une organisation très centralisée, qui remettait toute la direction aux mains des chefs. Marx le combattit, en faisant remarquer que ce système pouvait convenir à une conjuration politique tramée pour renverser un gouvernement, mais qu’il ne valait rien pour grouper un nombre très grand de sociétés ouvrières établies dans divers pays et dans des conditions différentes. Pour réussir, il fallait se contenter d’un lien fédéral très peu serré et surtout respecter les autonomies locales. Loin d’agir dans l’ombre, il fallait au contraire, pour le succès, compter sur la publicité la plus grande possible. Mazzini n’était qu’un politique; il ne comprenait pas les questions sociales. Ayant passé sa vie à conspirer, il ne voyait rien au delà du carbonarisme. Marx, qui connaissait à fond l’économie politique, n’eut pas de peine à démontrer que, si, pour renverser une dynastie et proclamer la république, il suffit parfois de quelques barricades et d’un coup de main hardi, ce n’est pas ainsi qu’on peut modifier l’assiette de la propriété, l’organisation du travail et les bases de la répartition. Marx l’emporta. Bientôt, à son tour, il devait être combattu et abandonné comme trop autoritaire. Mazzini et les siens se retirèrent.

Ce sont les idées de Marx qui sont exprimées dans le manifeste très habile et relativement très modéré que rédigea le conseil général. Dans un discours que M. Gladstone venait de prononcer, il avait dit que depuis vingt ans le sort de l’ouvrier ne s’était guère amélioré et qu’en beaucoup de cas, la lutte pour l’existence lui était devenue plus difficile, tandis que le développement de la richesse nationale, de l’industrie et du commerce avait été inouï, et que, par exemple, les exportations avaient triplé. C’est ce discours qu’invoque le manifeste, et il en conclut qu’il faut chercher les moyens d’augmenter la part du travail. Tout d’abord, ajoutait-il, il faut adopter la journée normale de dix heures, afin que le travailleur ait le loisir nécessaire au développement de ses facultés, comme aussi pour éviter les excès de production et les engorgemens des débouchés. Le succès récent de certaines sociétés coopératives prouve que les ouvriers peuvent exercer même la grande industrie sans la direction des maîtres. Il est permis d’en conclure que le salariat n’est qu’une forme transitoire du travail, et qu’il fera bientôt place à l’association. L’association, en assurant à l’ouvrier le produit intégral de