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transports et des échanges et l’identité des procédés de fabrication, mènent à une association internationale des travailleurs.

Une circonstance plus spéciale y a conduit également. Parfois les manufacturiers anglais, quand leurs ouvriers refusaient leurs conditions et se mettaient en grève, ont fait venir des étrangers, — des Allemands, des Belges ou des Danois, — qui se contentaient d’un salaire moindre. Ils menaçaient même d’appeler des coulies chinois qui, ne mangeant que du riz, vivent à l’aise avec un demi-franc par jour. Quel moyen d’échapper à cette concurrence importée du dehors? Le moyen, c’est évidemment de s’entendre avec les ouvriers étrangers, de leur montrer que les intérêts de tous les travailleurs sont solidaires et de les empêcher ainsi d’accepter les propositions que des maîtres d’un autre pays pourraient leur faire. On le voit, l’Internationale s’est développée, au début, sur le terrain économique et sous l’empire des conditions nouvelles de l’industrie moderne.

Ce qui le prouve manifestement, c’est qu’elle est née à la suite de l’Exposition internationale de Londres, en 1862. Du moins c’est alors qu’elle a pris corps; car l’idée, sous sa forme théorique, datait de plus loin. En 1847, eut lieu à Londres une réunion de communistes allemands dirigée par Karl Marx et par Friederich Engels, qui venait de publier son livre sur la condition des ouvriers en Angleterre. Un manifeste fut imprimé en plusieurs langues. Le programme adopté se résumait en ceci : Abolition de la propriété privée, le crédit centralisé aux mains de l’état dans une banque nationale, l’agriculture pratiquée en grand d’après un plan scientifique, l’industrie remise à des ateliers nationaux. Toutefois, était-il ajouté, la transformation de la société actuelle ne s’opérera pas d’après les idées préconçues d’un réformateur, mais, par l’initiative de la classe laborieuse tout entière. Le manifeste se terminait par cet appel : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. » On attribue à une Française, Jeanne Derouin, l’idée de relier toutes les associations ouvrières en une fédération solidaire universelle. Il fut décidé qu’on réunirait à Bruxelles, l’année suivante, un congrès international ouvrier. Mais les bouleversemens de 1848 empêchèrent l’accomplissement de ce projet, et pendant quatorze ans il n’en fut plus question.

En 1862, quelques industriels, comme M. Arlès-Dufour, et certains journaux comme le Temps et l’Opinion nationale, émirent l’idée qu’il serait utile d’envoyer à l’Exposition de Londres des délégués des ouvriers français. « La visite qu’ils feraient à leurs camarades d’Angleterre, disait l’Opinion nationale, établirait entre eux des relations profitables sous tous les rapports. En même temps qu’ils pourraient se rendre compte, par eux-mêmes, des grands