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les veilles, elles ne troublaient pas la conscience des penseurs. Alors on croyait fermement au dogme, et si l’on doutait, ce n’était que de la raison, ou plutôt de la capacité individuelle de s’en servir. Aujourd’hui c’est le contraire qui a lieu ; on croit à la raison, à elle seule, et si l’on doute, c’est de la foi. Entre les doutes du moyen âge et le doute, le grand doute universel de notre époque, il y a un abîme, il y a tout juste la distance qui sépare le Credo quia absurdum du père de l’église, du Cogito, ergo sum du père de la spéculation moderne. Ce n’est pas non plus que, tout en admettant la concordance intime entre la raison et la révélation, le moyen âge n’en ait senti et marqué très clairement la différence hiérarchique. Les docteurs du moyen âge reconnaissaient parfaitement que la raison humaine est souvent insuffisante à prouver ou seulement à comprendre toutes les vérités de la raison divine, mais ils ne supposaient point qu’elle pût mettre en question aucune de ces vérités éternelles, et de notre incapacité de démontrer tel ou tel dogme ils ne concluaient nullement à l’incertitude de ce dogme, ils concluaient tout au contraire à sa supériorité.


LE MARCHESE ARRIGO :

Matto è chi spera che nostra ragione Possa trascorrer la Infinita via, Che tiene una sustanzia in tre persone.

State contenti, umana gente, al quia; Chè se potuto aveste veder tutto, Mestier non era partorir Maria ;

E disiar vedeste senza frutto Tai, che sarebbe lor disio quetato Che’ternalmente è dato lor per lutte.

lo dico d’Aristotile e di Plato, E di molti altri[1]... </poem>


LE PRINCE SILVIO. — Je vous remercie, marchese, de rappeler ces vers célèbres que Dante met dans la bouche de Virgile, et que M. Witte invoque précisément, et au premier chef, à l’appui de son hypothèse. Et pourtant ces vers proclament-ils autre chose que ce que dit tout catéchisme : à savoir que la raison humaine peut atteindre bien des vérités dans l’ordre naturel et moral, qu’elle peut faire ainsi la grandeur d’un Aristote et d’un Platon, mais qu’elle ne saurait « parcourir la voie infinie qui tient une seule substance en trois personnes? » Étrange prétention de vouloir nous faire lire dans

  1. Purgat., III, 34-44.