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écarté de la légende de son Virgile tous les traits de nécromancie et de démonologie, si populaires dans le temps, et qu’un Cino da Pistoja, par exemple, n’a point dédaignés. Dans une image ingénieuse, il compare son doux maître « à l’éclaireur qui, la nuit, porte par derrière un flambeau dont il ne jouit pas lui-même, mais dont il illumine la voie de ceux qui marchent après lui[1] ; » et certes, au point de vue moral, aucun poète de l’antiquité n’a autant mérité cet éloge que celui qui, en chantant pascua, rura, duces, s’est toujours inspiré des idées les plus pures de Platon; celui aussi dont tels vers sur le nouvel ordre de choses qui naît, sur une Vierge, sur un royaume de Dieu qui approchent, sur les âmes qui dans l’autre monde « expient par des supplices divers leurs anciens crimes, s’y lavent de leurs souillures ou s’épurent dans le feu, » nous frappent encore aujourd’hui par leur accent mystique, presque chrétien.


LA COMTESSE. — Comment! Virgile aurait eu ainsi le pressentiment du Purgatoire?..

Le PRINCE SILVIO. — Mais sans nul doute, madame, et un pressentiment d’une précision étonnante :

Quin et supremo quum lumine vita reliquit,
Non tan, en omne malum miseris, nec funditus omnes
Corporeæ excedunt pestes; penitusque necesse est
Multa diu concreta modis inolescere miris.
Ergo exercentur pœnis, veterumque malorum
Supplicia expendunt. Aliæ panduntur inanes
Suspensæ ad ventos ; aliis sub gurgite vasto
Infectum eluitur scelus, aut exuritur igni.
Quisque suos patimur Manes; exinde per an plum
Mittimur Elysium, et pauci læta arva tenemus :
Donec longa dies, perfecto temporis orbe,
Concretam exemit labem, purumque reliquit
Ætherium sensum, atque aurai simplicis ignem.
Has omnes, ubi mille rotam volvere per annos,
Lethæum ad fluvium deus evocat agmine magno :
Scilicet immemores supera ut convexa revisant
Rursus[2]...


C’est même dans ces vers, je pense, que Dante a dû trouver la justification principale du choix qu’il a fait de Virgile pour guide, non-seulement dans son descensus Averno, mais aussi tout le long de son pèlerinage à travers le purgatoire et jusqu’au seuil du paradis

  1. Purgat., XXII, 67-69.
  2. Æneis, VI, 735-751.