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publiques, et avec l’injonction formelle de mener plus rapidement l’opération. Cela nous surprend. Où donc nos députés de la gauche ont-ils pris leurs renseignemens? Comment ont-ils interrogé le pays? Ne serait-ce point dans l’entourage de leurs amis, dans la réunion de leurs comités d’élection, dans la partie de la population qui seule a des idées et des passions politiques, qu’ils auraient recueilli leurs informations? S’il en était ainsi, et nous le soupçonnons fort, il n’y aurait pas lieu de s’étonner qu’ils aient rapporté de leur séjour en province des paroles de guerre plutôt que des paroles de paix. Non, le pays ne demande rien de ce qu’un parti pousse le gouvernement à faire. Il ne voit avec plaisir ni les révocations, ni les expulsions, ni les interdictions, ni les réhabilitations qu’on exécute ou qu’on propose pour le satisfaire. On s’en apercevra avant peu. Ce jour-là, bien des députés de gauche oublieront les passions et les engagemens de la période électorale pour ne songer qu’aux nouvelles nécessités des élections futures. Ils pourront dire, avec raison, qu’ils changent avec le pays. Il faut même leur rendre cette justice, que chez eux les actes auront plutôt changé que les sentimens et les idées. Ils redeviendront ce que malheureusement ils ont cessé de paraître, libéraux et conservateurs, prêts à se rallier autour du drapeau qui porte cette inscription. C’est là notre espoir. On a beau, encore en ce moment, serrer les rangs et sentir les coudes à gauche, comme on dit en termes de discipline militaire : quand la grande voix populaire commencera à gronder, on l’entendra, et l’on se séparera de façon à ce que chacun aille rejoindre ses véritables alliés pour la bataille du lendemain. Il n’y a pas d’exemple d’assemblées politiques qui n’aient subi le contre-coup de l’opinion ; et comme nos députés ont encore presque deux années devant eux, ils auront tout le temps de réfléchir et de se raviser. Les sectaires et les fanatiques pourraient bien n’avoir pas le dernier mot, même dans la chambre actuelle.

Cet espoir ne regarde que l’avenir. On peut espérer dans le sénat pour le présent. Là, tous les groupes de gauche ont un tempérament plus modéré et plus politique. On y a acquis une expérience des choses et des hommes qui manque à l’autre chambre, et l’esprit pratique y est moins dominé par la passion. Le centre gauche est tout entier libéral et conservateur. S’il est divisé en ce moment, et si une fraction résiste encore à l’exemple qui vient de lui être donné, retenue contre ses goûts et ses tendances par une discipline qui est bien près d’avoir fait son temps, c’est qu’elle n’a pas encore jugé le moment venu de le faire. Sauf quelques rares exceptions, elle le fera bientôt, sous l’impression des événemens parlementaires et des changemens qui se produisent déjà dans l’opinion publique, La gauche modérée a besoin de plus de