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le salon de la princesse Canterani un concile out of session. Dans sa ferveur généreuse pour une cause qui lui devenait plus chère d’année en année, la belle enthousiaste ne recula devant aucun labeur : elle se mit bravement à l’étude; elle lut la Somme, les pères de l’église et les principaux traités de controverse. A certains hauts personnages de Saint-Pétersbourg elle envoyait de temps en temps des communications volumineuses pleines d’argumens irrésistibles contre l’erreur de Photius ; quelques favorisés de la fortune à Rome ainsi qu’à l’étranger avaient même reçu de ses mains l’exemplaire en vélin d’un ouvrage imprimé avec luxe, mais non destiné à la publicité, et qui avait pour titre : des Rapports du bouddhisme avec notre sainte foi catholique.

Le prince Silvio n’avait fait d’abord que sourire de l’avertissement plus ou moins charitable du cardinal Lambruschini : l’engouement théologique de la jeune Olga lui paraissait une simple fantaisie féminine, nécessairement passagère, et préférable dans tous les cas aux frivoles besognes qui remplissent d’ordinaire la vie des grandes dames romaines. Lorsqu’il s’aperçut enfin des inconvéniens très réels de cette fantaisie, il eut la douleur de reconnaître qu’elle était devenue une passion intense, exclusive, sourde à la remontrance et prête à la lutte, « au martyre. « Il n’eut garde de provoquer le ciel, et laissa le champ libre à la théologie. Bientôt la mort d’un enfant unique et tendrement aimé vint dénouer les derniers liens d’un sentiment commun entre les deux époux, dont chacun suivit désormais sa destinée différente. Trop respectueux envers des convictions qu’il savait sincères pour leur faire une guerre sourde et mesquine, trop soucieux de sa dignité pour mettre le monde dans la confidence de son chagrin domestique, trop sérieux aussi pour chercher des distractions vulgaires, le prince ne pensa plus qu’à se créer une occupation capable d’absorber son esprit sans compromettre son honneur. Dans le vaste palais de ses ancêtres, où il ne trouvait plus pour lui ni salon, ni foyer, il y avait encore une bibliothèque, — une bibliothèque toute « païenne, » mais très choisie et très riche, — et il ne tarda pas à s’y confiner. Un Thucydide ou un Eschyle ouvert un jour par hasard lui fit découvrir une agréable vérité à laquelle il n’avait pas songé jusque-là : c’est que les pères jésuites avaient du bon, et que leur méthode d’enseignement, si surannée et tant décriée, n’en laissait pas moins chez leurs élèves un fonds de connaissances classiques inaltérable. Grâce à cette éducation première, le prince Silvio parvint, sans trop d’efforts, et en un court espace de temps, à se rendre maître du latin et du grec, dans la plus grande perfection, et l’étude de l’antiquité fut désormais pour lui sa consolation à l’intérieur et sa protection au dehors. Avec la