Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

français l’extradition d’un sujet russe récemment arrêté à Paris et soupçonné d’être un des auteurs, non de l’attentat du Palais d’hiver, mais de l’attentat de Moscou. Le gouvernement français n’a pas encore répondu, il avait le droit et il a pris le temps de tout examiner pour se prononcer impartialement sur une question qui n’a pas cessé d’ailleurs d’être traitée avec une complète courtoisie. À ne considérer que les plus strictes obligations diplomatiques, il n’y a point de traité d’extradition avec la Russie. Il y a avec d’autres états des traités signés même depuis que la république existe et assimilant les tentatives de meurtre contre des souverains aux crimes de droit commun passibles d’extradition ; il n’y a pas de traité de ce genre avec la Russie. Sur ce point donc le terrain est libre, mais il est bien clair qu’un traité de plus ou de moins n’est pas le seul élément de décision dans une affaire d’une telle nature. Il y a bien d’autres considérations dont le gouvernement est obligé de tenir compte. Il a tout à la fois à s’inspirer de ces devoirs de solidarité qui lient les états civilisés, et des principes qui entrent de plus en plus dans le droit général, et en même temps de sa dignité bien entendue, de sa position de ce qu’il doit à des traditions libérales.

Ceux qui sont libres de suivre leurs premiers mouvemens et de manifester leurs impressions ont beau jeu : ils peuvent même se livrer, comme M. Victor Hugo, a d’assez étranges effusions humanitaires, ils n’engagent qu’eux-mêmes. Le gouvernement a une tout autre responsabilité, et il en sent vraisemblablement le poids. Il ne peut ignorer qu’ici tout est grave et délicat, que, quelle que soit sa résolution, elle pourra être l’objet d’interprétations dangereuses. Si, reconnaissant dans les faits imputés à son prisonnier les caractères d’un crime de droit commun, il consente l’extradition, il sera accusé d’avoir fait une concession humiliante, d’avoir été infidèle à des sentimens généreux, aux traditions du droit d’asile. Si, après l’examen le plus attentif, le plus impartial, il refuse, il ne peut se dissimuler que ce refus sera dénaturé, exploité par des passions ennemies. L’essentiel est qu’après avoir tout consulté, tout pesé, il montre bien qu’il s’est décidé dans le sentiment de ce qu’il doit à la France d’abord et de ce qu’il doit aussi à des relations d’amitié avec la Russie. Il faut sortir honorablement, par une parfaite bonne foi, d’une situation délicate, et la pire des choses serait de tout compliquer par des interpellations, par des discussions, par des déclamations qui ne serviraient à rien, qui n’auraient d’autre effet que de représenter sous un faux jour notre politique extérieure, en mettant des armes nouvelles dans les mains des ennemis de la France.

Des attentats, des armemens, des malaises, des obscurités, c’est à peu près l’histoire de l’Europe pour le moment. La politique est laborieuse pour tout le monde, elle est fertile en accidens imprévus, en difficultés inévitables et en complications assez mystérieuses qui pèsent sur les esprits. Tous les gouvernemens, il est vrai, tous les souverains