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soudain son genre ou mieux ses genres divers, il s’est hardiment attaqué à la haute comédie sociale, à celle qui, non contente de peindre ou d’amuser, pose une thèse et défend un principe. Il est permis, dans le domaine de la pure esthétique, de considérer comme dangereuse l’entrée du plaidoyer philosophique dans les œuvres d’imagination. Mais en définitive le succès justifie les audaces de cette sorte: une belle comédie de thèse n’en est pas moins une belle comédie, et s’il fut jamais une légitime ambition, c’est assurément celle qui a poussé M. Sardou à vouloir écrire cette belle comédie, qu’il y avait beaucoup de courage à oser et quelque intérêt national à faire revivre.

La tentative a eu le résultat qu’on sait. Pour la première fois, depuis tant d’années, M. Victorien Sardou a perdu son procès devant le public et devant la critique. Sans vouloir parler des fâcheuses manifestations auxquelles il a fourni un prétexte et que n’ont arrêtées ni sa rare valeur, ni la sincérité de son effort, ni le mérite des interprètes, ni le respect dû à notre première scène, il est incontestable que les spectateurs sont presque tous sortis mécontens, et non moins incontestable que les journaux, sans distinction de partis, ont été presque unanimes à reconnaître ce qu’il faut bien appeler l’avortement de la tentative. Le regrettable débordement de passion politique qui s’est donné carrière à cette occasion a plutôt masqué cet avortement, car, — pourquoi ne le dirions-nous pas, puisque l’on doit la franchise surtout à ceux dont on estime le talent? — si les partisans du mariage civil n’avaient point, avec leur maladroite protestation, provoqué les partisans du mariage religieux à des applaudissemens de combat, la comédie se serait achevée dans une déception toute voisine de l’ennui, et M. Sardou aurait connu la condamnation pire que celle du sifflet, car celle-là est sans appel, la condamnation de l’indifférence.

À quel motif cependant attribuer cette issue, qu’on ne pouvait guère prévoir, de la plus louable entreprise faite par un écrivain que l’on peut sans banalité qualifier du nom de maître, et qui engageait la partie, comme on dit, avec tous les atouts dans sa main? Serait-ce que M. Sardou aurait perdu quelques-unes de ses précieuses qualités? Tout au contraire, les scènes épisodiques, esquissées de ci, de là, comme dans la marge de la comédie, nous révèlent que ces qualités se sont affinées. Serait-ce que le sujet répugne à l’intérêt et porte en lui un principe de mort pour le drame? Mais cette passion ardente que le public déploie à son propos suffit à répondre. M. Sardou, comme toujours, a deviné admirablement sur quelle touche, dans la gamme des idées, il fallait frapper, pour que le son retentît fortement et réveillât un vif écho dans tous les cœurs. C’est donc ailleurs que dans la nature d’esprit de l’écrivain et que dans la disposition du public qu’il faut chercher les causes de cette regrettable surprise, et, à notre avis, un simple malentendu