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base de la tarification dans le prix de revient, au lieu de la chercher dans sa véritable source, la valeur du service rendu.


VI.

Nous l’avons déjà dit : toutes ces erreurs répandues dans le public, et qui ont pénétré jusque dans les sphères parlementaires, toutes ces hérésies, disons le mot, tiennent à ce que l’industrie des chemins de fer, en France, n’est pas libre; les compagnies ont un monopole. Voilà le grief capital.

Les compagnies ont un monopole, personne ne le conteste, mais nous prétendons que ce monopole n’influe en rien sur les tarifs.

Et d’abord, l’industrie des transports à grande distance est forcément un monopole, parce qu’elle exige un matériel et une mise de fonds considérables. Les Messageries jouissaient d’un monopole de fait, puisque les deux entreprises se partageaient le trafic de la France, et personne n’ignore que les tarifs étaient les mêmes sur les Messageries nationales et sur les Messageries Lafitte et Gaillard. Les transports sur la Saône et le Rhône étaient aussi un monopole, un monopole à deux ou trois compagnies. De même pour les compagnies maritimes de l’extrême Orient. Toutes les fois que la concurrence s’exerce entre un nombre limité de concurrens, le monopole existe de fait; car l’entente ne tarde pas à se faire; on prélève d’abord le plus qu’on peut sur le public, sauf ensuite à partager après. L’histoire des chemins de fer dans les pays libres, l’Angleterre et l’Amérique, est remplie de ces ententes sous forme de fusions ou de traités d’exploitation. C’est une loi de la nature, contre laquelle il n’y a pas à réagir.

En droit, ce monopole n’existe pas ; rien n’empêche aujourd’hui l’état de concéder des lignes concurrentes; s’il ne le fait pas, c’est qu’il sent bien qu’il ne fera pas disparaître ainsi le monopole, il ne fera que le partager, et le résultat sera le même, s’il n’est plus mauvais. Les exemples de ce monopole à deux existent en France sur bien des points. On va d’Angers à Paris par deux directions, de longueurs à peu près égales, et qui sont dans des mains différentes, l’Ouest et l’Orléans. Il en est de même pour le trajet de Nevers à Paris, de même pour celui de Gray à Paris, de même pour celui de Clermont à Paris, de même pour celui de Paris à Namur. Voyons-nous que le public y gagne beaucoup? Le créateur de notre réseau de chemins de fer, M. de Franqueville, de si regrettable mémoire, avait bien mieux compris les véritables intérêts du pays. Au lieu de réduire les bénéfices des grandes lignes en créant des voies concurrentes, il a appliqué ces bénéfices à créer des voies affluentes.