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au culte pour la mémoire paternelle. Son livre fut traversé par ce double courant.

Mme de Staël pensait que l’essai de l’adoption de la constitution anglaise valait la peine d’être tenté. Le système étant admis, il importait d’y conformer les institutions et les usages; car il en est, pensait-elle, de la liberté comme de la religion, toute hypocrisie révolte plus qu’une abjuration complète. Le gouvernement représentatif ainsi compris lui paraissait inconciliable avec le droit divin. Toutes les disputes des Anglais avec les Stuarts étaient provenues de cette inconséquence. C’était une combinaison politique et non un mouvement populaire qui avait rétabli les Bourbons. Pourquoi dès lors un appel à la nation n’aurait-il pas sanctionné l’œuvre de la force? Telle était l’opinion de Mme de Staël.

Quant aux émigrés qui attendaient des dédommagemens de l’ancienne dynastie, pour les biens qu’ils avaient perdus en lui restant fidèles, tout en reconnaissant que leurs plaintes étaient naturelles, l’auteur des Considérations croyait avec sagesse qu’il fallait venir à leur secours sans porter atteinte à la vente des biens nationaux. Il fallait leur faire comprendre ce que les protestans avaient compris sous Henri IV. Ils devaient consentir, pour le bien de l’état, à ce que le monarque adoptât les intérêts dominans dans le pays.

L’influence de ces idées sur la jeunesse fut vive, et nous nous souvenons d’avoir entendu raconter par un grand magistrat, qu’étant étudiant et lisant tout haut à un groupe d’amis quelques pages de ce beau livre, des larmes montèrent aux yeux, lorsqu’il arriva à ces lignes : « La liberté ! répétons son nom avec d’autant plus de force que les hommes qui devraient au moins le prononcer comme excuse l’éloignent par flatterie ! Répétons-le, car tout ce que nous aimons, tout ce que nous honorons y est compris... Sans doute, il faut des lumières pour s’élever au-dessus des préjugés, mais c’est dans l’âme aussi que les principes de la liberté sont fondés; ils font battre le cœur comme l’amour et l’amitié; ils ennoblissent le caractère. »

C’était un noble temps que celui-là! Tous les hommes qui avaient grandi dans ce milieu enthousiaste, désintéressé, plein de foi à l’idéal, gardèrent jusque dans leur extrême vieillesse je ne sais quelle flamme qui préservait en toute chose de la vulgarité !

Pour juger de l’importance de la polémique engagée à propos des Considérations, il faut se mettre sous les yeux les Observations que crut devoir publier M. de Bonald. Plaçant sur la sellette la révolution, l’attaquant violemment dans son origine, dans son but, niant ses causes, allant jusqu’à justifier les droits féodaux, l’auteur de la Législation primitive rend bien exactement dans ce pamphlet les