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s’était opéré dans les esprits s’accentuait chaque jour. Il était si éclatant qu’il arrachait à M. Royer-Collard ces paroles qui eurent un si profond retentissement :

« On ne viole pas impunément les mœurs publiques. Quand l’état d’une société est fixé et qu’il est manifeste, il est la conduite de la providence sur cette société, et la soumission lui est due comme à tout ordre établi. »

Les hommes distingués qui représentaient les idées de la classe moyenne ne repoussaient pas les supériorités, les influences de naissance; ils voulaient bien que les lois leur offrissent les moyens de les exercer librement; mais ils voulaient aussi que les lois leur imposassent la nécessité constante de se légitimer, sans usurper le droit d’autrui et sans déshériter l’avenir. Le beau monde n’avait à présenter, comme théories politiques, que le pouvoir absolu de M. de Bonald, ou le dogmatisme hautain de M. de Maistre.

La réconciliation ne fut pas dès lors possible. Le parti ultra-royaliste commit en outre la faute de s’épurer constamment. Il repoussa plus d’une fois les neutres dans les rangs ennemis. Cette manie avait commencé avec la révolution. Depuis Coblentz, où ceux qui étaient arrivés le lundi se réunissaient à l’hôtel des Trois-Couronnes pour siffler ceux qui arrivaient le mardi, lesquels sifflaient à leur tour ceux qui n’arrivaient que le mercredi, jusqu’au retour à Paris, où ces mêmes émigrés calculaient le dévoûment par le plus ou moins de retard qu’ils avaient mis à rentrer, ils s’isolaient dans une pureté rigoureuse.

Ils semblaient ignorer qu’après vingt-six ans d’événemens extraordinaires, s’il n’y avait eu que les purs, dit Fiévée, qui eussent le droit de lever la main, il eût été trop facile de les compter.

On aurait compris que la pensée de substituer le gouvernement anglais à la charte eût passionné les familles nobles. La publication posthume des Considérations sur les principaux événemens de la révolution, avait été un événement. Avec sa large culture intellectuelle, avec son esprit philosophique. Mme de Staël avait bien vite jugé les difficultés et les exigences qui compliquaient l’existence du gouvernement de la restauration. Dans ses conversations avec une des femmes éminentes qui avait ouvert un salon politique, dans ses épanchemens avec ses amis, B. Constant, Chateaubriand, elle donnait les conseils les plus clairvoyans. A mesure que l’ombre descendait sur sa vie, sa raison s’illuminait comme une haute cime. Le souvenir de son père, sa plus sincère passion, avec Dieu et la liberté, les pensées qu’elle lui avait entendu exprimer, lui revenaient avec la vivacité des impressions de sa jeunesse. L’exemple des institutions de l’Angleterre et de son opiniâtre résistance au génie de Bonaparte, lui avait inspiré une adoration qui s’ajoutait