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révolution dans ce qu’elle avait eu de grand. Il voulait que la noblesse de chaque département, réunie en collège électoral, députât deux membres à la chambre des pairs, l’un pour en faire effectivement partie, l’autre pour y avoir droit de siéger seulement avec voix consultative. La cour de cassation avec ses attributions aurait été fondue dans la pairie. On aurait eu ainsi une haute chambre judiciaire destinée à prononcer des décisions dans des cas déterminés.

Montlosier entendait la nécessité de rétablir la distinction des classes en même temps que la distinction des rangs comme base fondamentale de toute reconstitution sociale. Sans cette distinction, il considérait que la royauté légitime n’avait aucune chance de durée et qu’elle succomberait infailliblement dans un conflit avec la révolution. Prenant à partie les classes moyennes, et dans ces classes spécialement la haute bourgeoisie, il l’accusait de vouloir former à elle seule toute la démocratie et de songer à reconstituer à son profit une féodalité nouvelle d’argent et d’honneurs. L’accusation a été plus tard reprise à peu près dans les mêmes termes par l’école socialiste. Montlosier ne craignait pas de dénoncer à l’opinion publique l’ascension naturelle de ceux qui étaient arrivés à la fortune. On lit au tome VII de la Monarchie française : « Cette classe s’est élevée si haut dans les villes qu’elle dépasse aujourd’hui de toute la tête les anciennes classes supérieures. Il ne s’agit plus que de porter le même mouvement dans les campagnes. Là on voyait autrefois un seigneur, un bailli, un greffier, des huissiers. Actuellement, en imitation des villes, ce sont les anciens greffiers, les anciens huissiers, qui seront au-dessus des anciens seigneurs. L’aristocratie nouvelle des campagnes relevant de l’aristocratie des villes, celle-ci de la grande aristocratie bourgeoise de Paris, la France aura une admirable féodalité bourgeoise à opposer aux souvenirs de l’ancienne. »

C’est surtout dans sa correspondance que Montlosier accentue et développe son système. M. Prosper de Barante était devenu directeur-général des contributions indirectes, puis conseiller d’état. Il allait être pair de France. Ami de Guizot, de Royer-Collard, de Camille Jordan, il appartenait par les goûts, par les idées, par le tempérament, à ce groupe d’hommes éminens qu’on appelait les doctrinaires. Son influence sur l’esprit de Montlosier avait pris une telle puissance que, dans une lettre datée d’août 1815, ce dernier lui disait : « Vous m’avez dit continuellement, au sujet de mes ouvrages, que vous ne pensiez pas comme moi, et cela a encore contribué à me raffermir dans ma retraite. J’ai dû désespérer de moi et de la chose publique du moment que j’ai vu que ce qui était à mes yeux la raison ne l’était pas pour vous. »