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Elle ne sera jamais dévote, car il faudrait qu’elle adorat Dieu, et elle voudrait que Dieu l’adorat. »

Quand Montlosier rentra à Paris, en novembre, on n’avait plus d’illusions sur la gravité de la situation. L’empire en était arrivé à ce point où la plus haute habileté politique eût été indispensable. On devait faire de larges concessions au dehors, si l’on voulait la paix, et des très larges concessions au dedans, si l’on voulait s’assurer des moyens durables de continuer la guerre. Sans doute, il y avait encore beaucoup de courage et d’honneur individuels. Ce qui manquait, c’était la part d’esprit public indispensable pour donner à ces sentimens isolés du concert et de la consistance.

Nous citerons des exemples puisés dans les papiers inédits que nous avons dépouillés.

En février 1814, on avait voulu transformer les étudians en médecine en élèves canonniers. Le sénateur Lespinasse se transporta à l’école. On fit l’appel, mais au premier nom, qui était Goujon, les jeunes gens de répondre : Il est frit ! Tout le reste de l’appel fut poursuivi de lazzi. Le secrétaire de la faculté se leva pour réprimander. Il fut accueilli par des sifflets. Le sénateur alors leva le siège. Mais il fut poursuivi jusque dans sa voiture par de la boue et des huées.

On avait voulu aussi dans ce triste hiver exciter le patriotisme en faisant jouer le Siège de Calais. Cette reprise mit en évidence une partie de la scène troisième du quatrième acte, que la police fit supprimer. Le parterre s’emporta. La tragédie de De Belloy fut retirée.

L’agonie du grand empire commençait. Il était tué par le principe de mort qu’il portait en lui-même, la guerre.

La monarchie renaissante portait aussi en elle sa maladie. Dans les premiers jours d’avril 1814, Montlosier signalait le germe avec une rare sagacité.

À Clermont, en beaucoup d’autres villes, les gentilshommes avaient tellement affecté de faire des derniers événemens leur affaire propre, ils avaient tellement l’air de se les approprier exclusivement, qu’il en était résulté déjà un peu de séparation et de refroidissement. Comme le bon ton était de ne pas vouloir de gouvernement représentatif et ce qu’on appelle les idées libérales, et que ce bon ton n’était nullement partagé par ceux qui avaient de l’expérience et du bon sens, les deux partis étaient en présence.

Prosper de Barante ne redoutait rien tant, pour le nouveau gouvernement constitutionnel, que le réveil des passions d’ancien régime. Il s’en exprimait ouvertement. Montlosier lui répliquait :

« Je partage tous vos sentimens sur les suites fâcheuses, mais extrêmement probables de l’attitude des anciens nobles et des émigrés…