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redevenait à son tour intolérante et implacable dans ses rancunes ; mais comme elle savait qu’elle était la vraie France, elle avait les longues espérances ; et elle attendait son heure, pleine d’une confiance inébranlable dans ses forces.

« Tant que j’ai vécu à Paris, écrivait Fiévée en 1816, je n’ai pu comprendre l’esprit de la révolution. Depuis que j’ai habité la province, j’ai tout compris, même que le danger pourrait se reproduire. » C’étaient en effet les départemens qui donnaient le plus d’exemples de conflits entre les deux orgueils. Dans certaines villes les rivalités et les luttes du cercle des nobles et du cercle du commerce ou du barreau prenaient une importance qui ravivait les animosités de classe à classe. Après s’être livrée aux mains de Bonaparte, la nation s’était crue du moins au terme de ses préoccupations égalitaires. Sa victoire avait été sur ce point si complète, qu’elle ne croyait plus au retour des privilèges. Elle était donc tout entière au travail et en pleine sécurité des droits conquis, quand on lui apprit qu’un parti rêvait la contre-révolution.

Pour la première fois, les ultra-royalistes se croyaient en situation d’oser. Ils regardaient la cour comme leur centre d’appui, et ils berçaient dans une atmosphère de présomptueuse ignorance leurs pensées de domination. Ils se figuraient qu’ils pourraient ressaisir le pays quand ils ne faisaient qu’achever de s’en séparer. Tandis qu’au delà de la Manche l’aristocratie visait à rester avant tout le patron du droit, chez nous elle persistait à méconnaître la nécessité d’être de son temps, et elle vivait presque dans l’isolement.

On s’aperçut alors que les changemens qui s’étaient accomplis dans les mœurs et les habitudes depuis vingt-cinq ans étaient encore plus profonds qu’ils ne s’annonçaient au dehors. Le sentiment national et une incurable méfiance des tentatives contre-révolutionnaires ne faisaient qu’un. Assez indifférente aux doctrines de liberté et, dans sa lassitude de vingt-cinq ans de guerres, bornant son ambition à conserver ce qu’elle avait, la France fut presque prise au dépourvu : mais elle se mit vite debout. Comme le privilège menaçait l’égalité, les théories démocratiques recommencèrent à s’affirmer. Comme le passé voulait essayer de ressusciter, la société nouvelle chercha d’abord des armes dans ce passé même. Le XVIIIe siècle redevint à la mode. On réimprima Voltaire. Les chansons et les pamphlets circulèrent. Ce fut le moment de la grande faveur de Courier et de Béranger. À côté de ces noms populaires, d’éminens publicistes combattirent d’une façon plus didactique, discutant pied à pied des doctrines ou surannées ou inconstitutionnelles, jetant les bases de la science politique moderne et