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Clément fut inflexible. Le roi voulait faire servir les anathèmes pontificaux d’appoint à sa politique. Si les Flamands violaient le traité de paix, ils devaient être excommuniés, et ne pourraient être relevés de l’excommunication qu’à la requête du roi. Clément refusa net de souscrire à cette dernière clause, qui mettait un droit essentiel de l’Église, celui d’absoudre devant Dieu, entre les mains du pouvoir civil.

Le procès contre la mémoire de Boniface et l’affaire des templiers étaient le triste rachat de ces libertés. Sur ces deux points, les engagemens de Clément étaient trop formels pour qu’il y manquât. Le roi, heureusement, ne se mêla guère d’un autre débat qui, à cette époque, causa les plus graves soucis au pontife. La lutte entre les élémens opposés qui composaient l’ordre de Saint-François continuait avec autant de vivacité que jamais. La minorité zélée, fidèle à l’esprit de pauvreté du fondateur, était à la lettre traquée par les « frères de la communauté, » gens de moyenne vertu, qui se résignaient à être riches, et pour lesquels la règle de saint François n’était pas une révélation. C’était surtout dans le royaume de Naples et en Grèce que la bataille devenait cruelle. Les saints, bien que forts des privilèges concédés par Célestin, étaient arrêtés, torturés par les inquisiteurs dominicains et par les supérieurs de la partie relâchée. Le gouvernement napolitain les favorisait. Clément, toujours modéré et éclairé quand il était laissé à ses instincts, les préserva des mauvais traitemens.

Malheureusement, les spirituels de Toscane montrèrent un emportement impardonnable. Ils se séparèrent du corps de l’ordre de leur seule autorité, et se donnèrent un général, des supérieurs. La mémoire de Pierre-Jean d’Olive devenait l’objet de vives controverses. Cet illustre mort trouva un ardent continuateur dans frère Ubertin de Casal, le plus exalté des spirituels, et de fanatiques adhérens parmi les laïques que l’on appelait frères de la Pénitence du tiers ordre de Saint-François et que le peuple nommait bégards, béguins, bizoques ou fratricelles. Clément ne voyait nul inconvénient à ce que ces saintes gens ne fussent ni torturés ni emmurés par leurs confrères moins rigides qu’eux; mais il est rare que le zèle ardent se contente de la tolérance. Il préfère la persécution, qui lui paraît le signe distinctif de la vérité.

L’époque fixée pour le concile approchait. Clément voyait venir sans empressement la réunion d’une assemblée où la France ne pouvait manquer d’avoir l’avantage. Il usa de sa manœuvre ordinaire, qui était de faire traîner les choses en longueur. L’ouverture fut remise au 16 octobre 1311. Henri de Luxembourg partait pour l’Italie, et, sans doute, le prudent pontife attendait de ce voyage un affermissement de son pouvoir. Avant de partir, Henri fît à Lausanne, le