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à ceux qui y prendraient part les mêmes avantages que la guerre contre les infidèles. Une foule d’aventuriers accourut de toutes parts; Florence et Bologne appuyèrent le légat, et la bataille de Francolino (28 août 1309) décida du sort de Ferrare. L’autorité de Clément fut de ce coup tout à fait relevée en Italie.

Chaque jour Clément s’enhardissait et osait se montrer plus résistant aux volontés de Philippe. Le nouvel empereur avait donné des garanties écrites au saint-siège; le pape sentait que la scène d’Anagni ne se renouvellerait pas. Une dépêche adressée d’Avignon au roi, le 24 décembre 1309, par Geoffroi du Plessis, évêque de Bayeux, montre combien de griefs il y avait à cette date entre les deux cours. Le ton en est très aigre. Les ambassadeurs se plaignent de toute sorte de manques d’égards. Leur entretien avec le pape, tel qu’ils le racontent, est plein de récriminations. Le pape ne se défend pas d’avoir essayé de se préparer une entrevue avec Henri de Luxembourg. Sur l’affaire de l’annexion de Lyon, il est amer. Le roi de France devrait réprimer ses officiers et les empêcher d’empiéter sur les droits du roi d’Allemagne. Clément, à ce sujet, distingue, dans le règne de Philippe, trois périodes dont il a été témoin. Dans la première, le roi était en paix avec ses voisins et ses sujets ; lui et son royaume regorgeaient de richesses. Dans la deuxième, détresse générale. Dans la troisième, le roi est en paix avec ses voisins et ses sujets; le royaume manque d’argent; mais il s’enrichira vite, si les officiers du roi, contens d’exercer les droits du roi, n’empiètent pas sur ceux d’autrui. Ce qui rendait ces reproches plus sensibles, c’est que, sur tous les points, le pape se mit à excuser Henri, à exalter sa puissance, à déclarer qu’il ne prétendait ni lui lier les mains, ni restreindre ses pouvoirs, que tout au plus il pouvait lui écrire sous forme de conseils. La cour de France en voulait beaucoup à l’archevêque de Mayence et demandait que le pape le citât. Refus formel de Clément.

Nogaret fut plus pressant que les autres ambassadeurs et osa reprocher directement au pape la promptitude avec laquelle il avait reconnu le roi des Romains, le projet d’alliance entre le roi des Romains et le roi de Sicile, et de mariage entre la fille du roi des Romains et le fils du roi de Sicile, avec le royaume d’Arles et d’autres terres pour dot. Clément ne cessa de louer Henri de Luxembourg ; il ne s’interdit même pas une certaine ironie, et ordonna d’un air railleur de lire aux Français les engagemens du nouvel empereur. Henri s’engageait à défendre la personne du pape, l’église et toutes les donations qui lui avaient été faites depuis Constantin. Les Français demandèrent copie de la lettre. Le pape sourit et ne répondit rien. Sur le chapitre des Flamands, en particulier,