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était ainsi l’hôte des comtes de la maison d’Anjou, petits souverains bien moins gênans que le roi de France. D’un autre côté, la cour papale, presque toute française, était là comme chez elle. Les cardinaux français n’avaient qu’à passer le Rhône pour être en France. Villeneuve devint leur endroit de prédilection. Ils y avaient leurs maisons de plaisance, et s’y retiraient quand ils avaient quelque motif de prendre leurs sûretés.

Après un long voyage, pendant lequel il visita tout le midi de la France, Clément fit son entrée à Avignon, vers la fin de mars 1309. « Clément V, dit le vieux Pasquier, fut d’un esprit merveilleusement bizerre et d’une volonté bizerrement absolue, d’avoir quitté ceste grande ville de Rome, première de la chrétienté, pour se venir loger, par forme d’emprunt, en un arrière-coin de la France, dedans la ville d’Avignon, nid à corneilles au regard de l’autre. » Pétrarque fait aussi d’Avignon le plus triste tableau. Il est certain que la cour papale s’y trouva d’abord fort à l’étroit. Clément se logea au couvent des frères prêcheurs. Le séjour à Avignon n’était pour lui qu’un séjour passager, comme ceux qu’il avait faits à Bordeaux, à Poitiers. Rien ne prouve qu’il ait envisagé cette ville comme devant être pour longtemps la résidence de la papauté, et il ne songea pas à y bâtir. Il se construisit pourtant une résidence, dont il reste quelques traces, au prieuré du Groseau, près de Malaucène, au pied du mont Venteux. Clément aimait cet agréable endroit, et venait y chercher le repos ; mais il n’eut pas le temps de donner aux constructions un caractère durable, et le peu qui s’en voit aujourd’hui n’a pas la grandeur qu’on supposerait à une demeure qui fut, à certains momens, le point où aboutissaient les plus importantes affaires de la chrétienté.

Instinctivement, Clément avait trouvé, en ce qui concerne le séjour de la papauté, la solution que comportaient les nécessités du temps. Une circonstance, d’ailleurs, contribuait puissamment à rendre la situation de Clément moins dépendante à l’égard de la France. Le 27 novembre 1308, Henri de Luxembourg fut élu empereur d’Allemagne. Rien que, pour recouvrer sa liberté. Clément se fût peut-être donné l’apparence de combattre cette élection, il en fut enchanté. L’affaire fut conduite par Pierre d’Achspalt, cet archevêque médecin, que Clément avait nommé au siège de Mayence parce qu’il l’avait guéri d’une de ses maladies. La politique de Philippe le Bel se montra, dans cette affaire, bien inférieure à ce qu’elle fut dans les questions ecclésiastiques. Ses clercs, ses juristes, excellens quand il s’agissait de batailler contre la papauté, étaient de trop faibles diplomates pour faire réussir une intrigue de haute politique européenne. La nullité des princes du sang privait ici le roi des vrais instrumens qui auraient pu le servir. Voilà pourquoi la politique de Philippe,