Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inactif, la puissance séculière devait frapper, et qu’au besoin le peuple se lèverait pour défendre l’église en danger. Le mémoire de Du Bois dut être remis à Clément, puisque l’exemplaire des Archives porte : Quedam proposita pape a rege super facto templariorum. Dans un autre factum, en français, Du Bois désignait le pape à l’animadversion publique, l’accusait de toute sorte d’actes injustes, de népotisme, de révoltante partialité pour sa famille. Il l’engageait à craindre la colère de Dieu et celle du peuple. Le roi pensa-t-il sérieusement à faire déposer le pontife, trop lent à lui obéir ? Peut-être ; mais Philippe n’avait pas besoin d’aller au delà de l’intimidation. La conduite du pape, sa simonie notoire, fournissaient des armes terribles. Un moyen bien plus puissant encore, pour agir sur l’esprit de Clément, était le procès contre la mémoire de Boniface. Il n’est pas douteux que la menace de cette poursuite n’ait été, entre les mains de Philippe, un moyen de contraindre Clément. Un procès qui allait couvrir d’opprobre le siège romain ne devait-il pas être évité à tout prix ? « Livre-moi les templiers, et j’abandonne Boniface. » Telle fut l’alternative où le roi tenait enfermé le pontife, terrifié plutôt que faible, qui expiait des fautes commises avant lui.

Philippe sollicita du pape, qui n’avait point quitté Poitiers, une nouvelle entrevue, qui fut fixée au mois de juin 1308 ; mais le roi convoqua auparavant les états-généraux à Tours, pour la fin de mai. La circulaire de convocation était un vrai sermon fanatique. Le roi n’a qu’un but : sauver la foi, détruire l’abominable erreur des templiers. Tous les faits relevés contre ces derniers sont donnés comme de notoriété publique. « Le ciel et la terre sont agités par le souffle d’un si grand crime ; les élémens en sont troublés, etc.. » Les états se réunirent à l’époque indiquée, en présence du roi, proclamèrent la culpabilité des templiers, les déclarèrent dignes de mort. Philippe, alors, se rendit à Poitiers, suivi d’un grand nombre de membres de l’assemblée.

La situation de Clément devenait très dangereuse. Tout ce qu’on avait dit contre Boniface, on commençait à le dire contre lui. Son népotisme, ses exactions, donnaient des motifs suffisans pour le déposer. Dans les écrits qu’on répandait, le roi était directement invité à se passer du pape et à remplir les devoirs que le pontife ne remplissait pas. Du Bois étalait devant Clément les exemples de la vengeance divine sur les papes qui ont mal rempli leurs devoirs, et lui laissait entendre que les châtimens de la justice humaine pourraient devancer ceux de la justice divine. Le grand prêtre Héli se rompit le cou pour n’avoir pas été assez diligent à écouter les bons avis. Nogaret répétait les mêmes menaces à tout propos. Les vers satiriques qui couraient dans le public étaient pleins d’invectives et de colère.