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comble de la douleur, vous ne les avez pas relâchés; même, à ce qu’on dit, allant plus loin, vous avez ajouté à l’affliction de la captivité une autre affliction que, par pudeur pour l’église et pour nous, nous croyons à propos de passer actuellement sous silence. Voilà ce qui nous plonge, illustre prince, dans un pénible étonnement; car vous avez toujours trouvé près de nous plus de bienveillance qu’auprès des autres pontifes romains qui ont été, de votre temps, à la tête de l’église. Nous avons toujours été attentif à pourvoir votre honneur dans votre royaume. Pour votre utilité, pour celle de votre royaume et de toute la chrétienté, nous séjournions dans une ville peu éloignée; nous avions signifié à votre sérénité, par nos lettres, que nous avions pris en main cette affaire et que nous voulions rechercher diligemment la vérité. Dans la même lettre, nous vous priions d’avoir soin de nous communiquer ce que vous aviez découvert à ce sujet, vous promettant de vous transmettre ce que nous découvririons nous-mêmes. Malgré cela, vous avez commis ces attentats sur les personnes et les biens de gens qui sont soumis immédiatement à nous et à l’église romaine. Dans ce procédé précipité, tous remarquent, et non sans cause raisonnable, un outrageant mépris de nous et de l’église romaine. »

C’est donc sans l’aveu et à l’insu de Clément que l’arrestation eut lieu. Clément, toujours faible, accepta néanmoins l’arrestation comme un fait accompli et se préoccupa uniquement de ce qu’allaient devenir les biens de l’ordre. Seul il avait le droit de mettre en cause l’ordre tout entier. Mais l’inquisition pouvait procéder individuellement contre chaque membre, et l’inquisition était dans la main de Philippe. Le dominicain Guillaume de Paris, confesseur du roi, inquisiteur général du royaume, mit cette machine redoutable au service de la royauté. Le roi intervenait à la demande de l’inquisiteur général, qui le suppliait de mettre le bras séculier à la disposition de l’église.

Avec cette résolution, chez le pape de ne rien voir, chez le roi de ne rien entendre, il était difficile que les desseins du roi fussent gravement entravés. Philippe persista dans sa politique à double visage, protestant d’une part de son entier dévoûment au saint-siège, promettant de remettre les templiers entre les mains du pape, faisant administrer leurs biens par des administrateurs particuliers en vue de l’œuvre de terre-sainte, et pendant ce temps, soulevant l’opinion de la France et celle de l’Europe entière contre l’ordre, se servant de la plume de Pierre Du Bois pour présenter comme urgente la suppression des ordres du Temple et de Saint-Jean de Jérusalem, s’attribuant hautement les droits de protecteur de l’église, de destructeur des hérétiques et de gardien de l’orthodoxie. Du Bois déclarait que, si le pouvoir ecclésiastique restait