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ordre, à la demande du pape, un mémoire plein de jugement et de raison sur la continuation de la guerre sainte. Mais les gens du roi avaient déjà leur plan arrêté. N’ayant sous la main que le chef du Temple et trouvant d’ailleurs cet ordre beaucoup plus vulnérable que celui des hospitaliers, ils tournèrent contre lui toutes leurs batteries. Molai était un homme faible et très peu intelligent. Quelques propos de lui furent saisis au vol. Le 24 août, le pape consentit à une enquête, « non sans grand trouble, anxiété et amertume de cœur. » Il cherchait à gagner du temps et voulut ajourner l’affaire jusqu’au milieu d’octobre, alléguant, selon son habitude, l’état de sa santé.

Le roi résolut de brusquer les choses. Le 23 septembre 1307, dans un conseil tenu à l’abbaye de Maubuisson, Gilles Aicelin, archevêque de Narbonne, résigna les sceaux, et on put deviner la politique qui allait prévaloir quand on les vit passer dans les mains de Nogaret, c’est-à-dire du plus dangereux ennemi des milices cléricales. Le 13 octobre 1307, sans l’autorisation du pape, tous les templiers du royaume furent arrêtés sous la prévention des crimes les plus terribles que pût rêver l’imagination du temps. Rien n’avait fait présager cette violence, ni permis de soupçonner les hérésies qu’on disait avoir tout à coup découvertes. La veille, Jacques Molai avait figuré devant le roi aux funérailles de la comtesse de Valois et avait porté le cercueil avec les princes. On répandit dans le public que le pape et le roi étaient d’accord sur cet acte de rigueur. C’était là un mensonge. M. Boutaric a publié pour la première fois une pièce capitale, omise, probablement à dessein, par Baluze. Il résulte clairement de cette pièce que le roi, avec une impudence dont il avait déjà donné plus d’un exemple, se décernait à lui-même les approbations ecclésiastiques dont il avait besoin, quand rien absolument ne l’y autorisait. Voici ce que le pape lui écrivait à la date du 27 octobre :

« Nous reconnaissons, très cher fils, à la gloire de la sagesse et de la mansuétude de vos ancêtres, qu’élevés dans l’amour de la foi, dans le zèle de la charité et dans les sciences ecclésiastiques, semblables à des astres brillans, pleins de respect jusqu’à ce jour pour l’église romaine, ils ont toujours reconnu qu’il falloit soumettre ce qui concerne la foi à l’examen de cette église, dont le pasteur a reçu de la bouche du Seigneur ce commandement : « Paissez mes brebis... » Ce siège, le Fils de Dieu lui-même l’a voulu, établi et ordonné; les règles des pères et les statuts des princes le confirment... Mais vous, très cher fils, ce que nous disons avec douleur, au mépris de toute règle, pendant que nous étions loin de vous, vous avez étendu la main sur les personnes et les biens des templiers; vous avez été jusqu’à les mettre en prison, et, ce qui est le