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des gens du pape dépassaient toute mesure. L’église gallicane payait cher son triomphe. Vers le mois de juillet, les prélats de France s’assemblèrent en plusieurs lieux pour délibérer sur ces charges accablantes. Ils s’adressèrent au roi et à son conseil. Le roi envoya au pape Miles des Noyers, maréchal de France, avec deux autres chevaliers, pour lui transmettre ces doléances. Clément s’étonna que des prélats, qui pour la plupart étaient de ses amis avant qu’il fût pape, ne lui eussent pas porté directement leurs plaintes; il promit de corriger les fautes de ses gens quand elles viendraient à sa connaissance. « Nous ne voulons pas prétendre, disait-il, que notre maison vaille mieux que l’arche de Noé, où, sur huit hommes choisis, il se trouva un réprouvé, ni qu’elle soit plus sainte que la maison d’Abraham, où l’on trouve aussi des réprouvés, ni plus parfaite que celle d’Isaac, dont la postérité fut en partie réprouvée, et pourtant ni Noé, ni Abraham, ni Isaac n’ont été incriminés.» (27 juillet 1306.)

Une circonstance extérieure eut plus d’effet, pour amener Clément à quelque résipiscence, que toutes les paroles du roi et que le cri de la catholicité. Vers le mois d’octobre 1306, il fut atteint d’une maladie grave. La fatigue des affaires et d’une vie de plaisirs l’avait épuisé. Il n’échappa à la mort que pour rester près d’un an dans un état d’extrême faiblesse. Comme il arrive souvent chez certaines natures peu profondes, que les inconséquences de la conduite ne soustraient pas toujours aux terreurs de la foi. Clément crut avoir vu de près le jugement de Dieu, et, pendant quelque temps du moins, il s’amenda. Les abus des commendes notamment pesaient sur sa conscience. Les commissions exceptionnelles étaient en train d’étouffer le droit commun. Par une constitution qu’il publia durant sa convalescence. Clément déclara que sa détermination était prise de ne plus conférer, à l’avenir, ces sortes de grâces extraordinaires. Ses remords portèrent sans doute sur d’autres points; car, à partir de ce moment, son administration devint plus régulière. Pendant un an, du reste, par suite de l’état de sa santé, les affaires restèrent comme suspendues.

L’activité infatigable de Philippe le Bel ne s’arrangeait pas d’un pape malade. Sans s’arrêter à toutes les raisons de santé alléguées par Clément, le roi poussait à l’exécution des grands desseins dont il s’était entretenu avec lui à Lyon. Les ambassades du roi se renouvelaient sans cesse; l’une n’était pas finie qu’une autre commençait. Les épîtres du roi sont en général dures, conçues dans un style impérieux et plein de mystère. On sent que le pontife est encore sous le poids des engagemens qu’il a contractés. L’affaire des templiers surtout prenait des proportions que Clément s’efforçait de restreindre.