Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rôle universel, elle l’eût laissée libre de suivre sa destinée nationale, que la présence de la papauté devait nécessairement contrarier.

Vers la fin du mois d’août, Clément V partit de Bordeaux et s’achemina vers Lyon, où il manda les cardinaux pour son couronnement. Ce voyage fut une magnifique promenade d’un caractère tout profane. Clément passa par Agen, Toulouse, Béziers, Montpellier, où Jacques II d’Aragon et Jacques Ier de Majorque vinrent le trouver. Le premier lui fit hommage en personne pour son royaume de Sardaigne et de Corse ; puis tous se mirent à sa suite pour se rendre à Lyon. Cette ville, déjà indiquée par le séjour d’Innocent IV, par la tenue de deux conciles, par sa demi-indépendance et sa position intermédiaire entre la France et l’Italie, parut propre à jouer ce rôle de centre ecclésiastique qui n’échut à Avignon qu’à la suite de beaucoup de tâtonnemens.

Les cardinaux furent atterrés de l’ordre qui les appelait à Lyon. Ils virent qu’ils avaient été trompés. « Vous êtes venus à vos fins, disait le vieux cardinal Matthieu Rosso des Ursins, doyen du sacré collège, au cardinal de Prato ; vous allez nous mener au delà des monts; mais l’église ne reviendra pas de longtemps en Italie; je connois les Gascons. » Ils partirent néanmoins. Le pape avait également invité à son couronnement le roi de France, le roi d’Angleterre et tous les princes régnans. On n’avait jamais assisté au déploiement d’un pareil luxe; la richesse des appartemens du nouveau pontife surpassait tout ce qu’on pouvait alors imaginer. Le roi d’Angleterre avait envoyé un service tout entier en or. L’assemblée de rois et de princes était la plus belle qu’on eût vue. La foule venue à Lyon pour contempler la fête était énorme.

La cérémonie se fit dans l’église de Saint-Just, le dimanche 14 novembre 1305. La couronne papale avait été apportée exprès à Lyon par un camérier. Matthieu Rosso la mit sur la tête de Clément. Ensuite eut lieu la grande cavalcade triomphale qui est comme le dernier acte d’un couronnement pontifical. Le pape s’avançait à cheval, la tiare en tête. Il ressemblait, dit un contemporain, au roi Salomon paré de son diadème. Le roi de France, à pied, tint d’abord la bride du cheval; puis les deux frères du roi, Charles de Valois et Louis d’Évreux, avec Jean, duc de Bretagne, rendirent au pontife le même honneur. La foule couvrait tous les points d’où l’on pouvait voir ce spectacle extraordinaire ; tout à coup, comme le cortège descendait la rue du Gourguillon, une muraille chargée de spectateurs s’écroula juste au moment où Clément passait. Le pape fut renversé de cheval, sans être blessé; la tiare tomba de sa tête, une escarboucle précieuse s’en détacha.