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avaient commise en choisissant pour évêque et souverain de Rome un prélat résidant au delà des monts.

L’archevêque de Bordeaux était à Lusignan, en Poitou, occupé à la visite de sa province, quand il reçut la nouvelle de son élection à la papauté. Il revint sur-le-champ à Bordeaux, où il fit son entrée solennelle le 15 juillet. Le 21, les députés arrivèrent. Le 22, ils remirent à l’archevêque le décret d’élévation; le 24, assis dans sa chaire épiscopale, Bertrand de Got déclara prendre le nom de Clément et commença dès lors à se comporter en pape. Quant à l’invitation de partir pour Rome, il n’y fit pas de réponse. Sans que l’on puisse dire que, dès ce moment, la résolution de ne jamais passer les monts fût chez lui arrêtée, il ne jugeait nullement opportun de recommencer une partie que Boniface VIII avait perdue malgré son audace, et Benoît XI malgré sa sainteté.

Bertrand de Got n’était ni un grand esprit, ni un grand cœur; mais c’était un homme habile, avisé. Il vit très bien que sa situation à Rome ou à Pérouse serait aussi faible que l’avait été celle de ses prédécesseurs. La ville de Rome était en réalité la plus turbulente des républiques italiennes ; la campagne de Rome, livrée à une indomptable féodalité, devenait un désert dangereux à traverser. Il ne faut pas vouloir jouer à la fois deux rôles contradictoires. En se livrant pour son compte à cette brillante vie de luttes et d’aventures d’où allait sortir la Renaissance, l’Italie ne pouvait prétendre à garder sa primatie ecclésiastique sur la chrétienté. Cette primatie, l’Italie l’a toujours achetée au prix de sa vie politique. La chrétienté peut abdiquer ses droits entre les mains d’une sorte de tribu de Lévi, mais à condition que cette tribu de Lévi n’ait pas de vie profane, d’ambitions temporelles. Que si l’Italie rend le séjour du chef de la catholicité périlleux ou incommode, si elle fait servir son privilège ecclésiastique à ses fins particulières, elle ne doit pas trouver mauvais que la chrétienté constitue en dehors d’elle ses organes essentiels. En réalité, c’est l’Italie qui avait chassé la papauté de son sein. Le séjour à Rome était pour les papes la plus intolérable des captivités. Si Benoît XI eût vécu, Pérouse fût probablement devenue une sorte d’Avignon. A peine l’église a-t-elle fait ce qu’il était naturel qu’elle fît, l’Italie proteste et veut ravoir cette papauté aux conditions de laquelle elle s’était si peu prêtée. Suprême inconséquence ! l’Italie avait le droit de dire à la catholicité : Nous ne voulons plus des charges que vous nous imposez ; mais elle n’avait pas le droit de vouloir le privilège sans les charges. Clément V ne fut point un ennemi de l’Italie, comme l’ont soutenu quelques écrivains de delà les monts. Sa politique, si elle eût définitivement réussi, eût été au contraire très avantageuse à l’Italie, puisque, en la débarrassant de son