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et un bonnet orné de verroteries. En septembre, la plupart allaient nu-tête, mais en hiver leur couvre-chef, en fourrure, s’attachait sous le menton et descendait sur les épaules sous la première pelisse. Quant à la chaussure, elle se compose de mocassins avec semelles de peau de morse et d’ours. Plusieurs indigènes portaient au cou des amulettes dont à aucun prix ils ne voulurent se défaire ; l’un d’eux possédait une croix grecque, ce qui ne l’empêchait pas de se signer à l’aspect du soleil. A quel autre Dieu peut-on croire dans ces régions désolées ? Le costume des femmes se rapproche beaucoup de celui des hommes ; dans leur intérieur, elles seraient complètement nues, sans une petite ceinture qui fait le tour de leur taille. N’est-ce pas un reste du costume primitif de ce peuple alors qu’il vivait sous un ciel plus clément ? Leur chevelure est longue et nattée ; celle des hommes est courte par derrière, longue et bien peignée sur le devant, identique par la coupe à celle que les Indiens de l’Amérique centrale du Nord portaient il y a deux cents ans. Presque tous les hommes décorent leurs oreilles de boucles en verroterie. Les femmes ont le visage tatoué, et celui du sexe fort est souvent orné d’une croix à angles droits, posée de biais sur les pommettes, d’une couleur rouge ou noire.

Grâce à la chaloupe à vapeur, les voyageurs faisaient tous les jours des reconnaissances autour du navire pour examiner la ceinture de glace qui les bloquait ; mais cette ceinture ne rompait point, et, pendant dix mois, aucune chance d’échapper à ses étreintes ne s’offrit. C’est alors que M. Nordenskjöld se décida à explorer (la côte en traîneau, et, à cet effet, il s’adressa à son nouvel ami, le mélomane Tcheporin ; celui-ci lui procura un attelage de huit chiens conduits par son frère Harat. « Au commencement, le voyage fut difficile, écrit M. Nordenskjöld à son ami M. Dickson, car il nous fallait gravir les hauteurs situées entre l’Ammon et l’Hamnong-Ammon. La tundra[1] était crevassée et remplie d’eau en plusieurs endroits, ce qui nous obligeait à de grands détours, mais je ne me plaignais pas de cette lenteur ; le temps était superbe et, à mesure que nous nous élevions au-dessus du niveau de la mer, la vue s’étendait sur un splendide horizon. Le soleil qui brillait sur les montagnes du sud couvertes de neige en éclairait également les pics qui se détachaient étincelans sur un ciel d’azur. Au nord-ouest, au-dessus d’une mer éblouissante, l’Irr-Kajpij dressait son orgueilleuse flèche ardoisée ; à l’horizon s’étendait un épais brouillard, pendant que, sur les pentes argentées de l’Ammon se détachaient les mâts noirs et immobiles de la Vega. Lorsque je fus arrivé au

  1. Plaine couverte de glaces.